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Chanson n°27 : ”De l'amour, de l'art ou du cochon ?”

La pensée du jour : "L'art d'aimer ? C'est savoir joindre à un tempérament de vampire la discrétion d'une anémone". CIORAN.

 

                       

                                              

De l'amour, de l'art ou du cochon ?

 

Écoute-moi... écoute-moi mon amour... je claquerai connement la tête coincée dans un strapontin...

ce sera pendant l'été de 1515 sur l'aéroport de Marignane... Je claquerai vraiment connement...
mais je ressusciterai le troisième jour et ce troisième jour sera l'avant-veille de l'attentat de Sarajevo...

je passerai te chercher et tu me reconnaîtras facilement puisque je porterai mon éternel chapeau à cran d'arrêt

et que j'aurai à la boutonnière une fleur de tournesol comme celles que tu aimes tant !

toi ! Tu te jetteras dans mes bras et alors je te dirai :

souviens-toi ! Souviens-toi mon amour... j'étais beau comme un passage à niveau et toi tu étais douce...

douce comme les roubignolles d'un nouveau-né... souviens-toi...

on avait des scolopendres qui dansaient dans nos veines et

un alligator au fond de la cuisine sur la droite en entrant... mais si !

Quand on entrait par la bouche d'incendie... / ... dans ta bouche il y avait des sirènes

qui chuchotaient des mots... des mots qu'on avait oublié d'inventer... des mots qu'on avait oublié d'inventer

à cause de notre enfance malheureuse... à cause de notre enfance malheureuse parce qu'on avait mal aux dents

on avait mal aux dents parce que toujours on nous obligeait à manger des sucres d'orge et qu'on n'aimait pas ça !

Et puis après... après, quand on se sera bien souvenu... quand fatigués de s'être souvenu...

nos souvenirs ne seront plus que des loques... alors... je te prendrai par la taille et

nous irons nous promener à l'ombre des tilleuls menthe... tu me souriras... je te rendrai ton sourire et

dès lors... dès lors nous ne saurons plus vraiment si ce que nous ressentons l'un pour l'autre

c'est de l'amour... de l'art... ou du cochon !

 

 

J'adore cette chanson, je la trouve empreinte d'une mélancolie folle. Les corbeaux du début, le piano, la voix traînante de Thiéfaine viennent faire un nid douillet à cette douce mélancolie... contrebalancée par des « acrobaties » surréalistes (« beau comme un passage à niveau », « mon éternel chapeau à cran d'arrêt », etc.). Les repères chronologiques perdent la tête (« ce troisième jour sera l'avant-veille de l'attentat de Sarajevo »).

Le sujet qui parle se souvient d'une époque révolue où il vivait avec sa belle et qu'ils étaient tous deux entourés d'une étrange animalerie (un alligator dans la cuisine, des scolopendres dans les veines. Au passage, on peut se demander si ces scolopendres qui leur courent dans les veines -l'image me fait froid dans le dos, j'imagine des bestioles se trimbalant tranquillou dans mes veines, horreur !!- on peut se demander si ces scolopendres ne sont pas une allusion à la drogue, non ?). Epoque révolue donc, dont il s'agit de se souvenir ensemble. Il y a eu séparation, changement de trajectoire et le sujet qui s'exprime ici souhaite revenir vers sa bien-aimée (« douce comme les roubignolles d'un nouveau-né »). C'est décidé : il passera la chercher, ensemble ils iront se promener à l'ombre des tilleuls menthe (« on n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade »), ils s'enivreront de souvenirs et, dans ce doux embrouillamini, ils ne sauront plus vraiment si ce qu'ils ressentent l'un pour l'autre, c'est de l'amour, de l'art ou du cochon... La chanson s'achève sur cette question surprenante ! Pendant tout le morceau, on hésite entre le rire et les larmes. Enfin, moi, en tout cas, parce que je reçois ce texte et cette musique cinq sur cinq. Ils me courent dans les veines comme des scolopendres agités, ainsi que de nombreuses chansons de Thiéfaine... Cette chanson d'amour se classe parmi ce que l'on fait de mieux sur le marché, je trouve ! L'amour, c'est à la fois de l'art et du cochon, un subtil mélange des deux. Comme disait Cioran, « un moine et un boucher se bagarrent à l'intérieur de chaque désir »...

Pardon, je raconte un peu n'importe quoi ! En tout cas, j'ai hâte de connaître les réflexions ou impressions que vous inspire cette chanson !

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”Thiéfaine en concert volume 2” (première dissection)

La pensée du jour : "Il y a quelque chose d'indécent à s'exhiber, mais au moment où vous écrivez, vous ne vous exhibez pas. Vous êtes seul avec vous-même". CIORAN.

 

Il y a eu un volume 1, voici donc le volume 2. Rien que la pochette semble vouloir donner le ton. Une photo en noir et blanc. Thiéfaine a des yeux d'hystéro là-dessus. On sent qu'on va plonger dans un univers psychédélique, sans doute un peu macabre...

Voilà un album que je me suis interdit d'écouter pendant de longues années. Il faisait ressurgir à la surface trop de sales souvenirs qui me donnaient systématiquement l'impression de me noyer... D'ailleurs, même si cette sensation n'est plus de la partie maintenant quand j'écoute ce volume 2, je ne sais pas pourquoi, quand même, toutes ces chansons si fortes me percutent toujours la tripaille !

C'est « 713705 cherche futur » qui ouvre le bal. « N'est-ce pas merveilleux de se sentir piégé ? » Piégé, on l'est dès que retentissent les premières notes de cette chanson... « Et moi je reste assis les poumons dans la sciure

à filer mes temps morts à la mélancolie », combien de fois ces mots ont-ils roulé dans ma caboche ? La mélancolie est malheureusement une façon d'être qui ne se commande pas. Se laisse parfois un peu discipliner, un peu rabattre le caquet, mais reprend toujours savamment le dessus. Salope, va ! Mélancolie, mais pourquoi donc ? Je crois que le texte de « Soleil cherche futur » livre la réponse : « C'est depuis le début du monde que l'homme s'est déchiré ». C'est ce déchirement-là que pour ma part je ne digère pas bien... Pourtant, Dieu sait si je l'ai mâché, et les Allemands ont beau dire « gut gekaut ist halb verdaut » (« bien mâché, à moitié digéré »), non, ça ne marche pas à tous les coups ! La mélancolie est elle aussi un «sport de l'extrême », me semble-t-il, elle se pratique elle aussi au bord des précipices et, comme je le dis toujours, le père Hubert la connaît si bien qu'il se permet de ne la nommer qu'en trois syllabes, comme un surnom qu'on donne à une présence familière, quotidienne : « mé-lan-co »... Ici, clin d'oeil à mon ami le Doc, avec qui j'ai longuement parlé de mélanco vendredi soir au téléphone...

« Psychanalyse du singe » (tiens, c'est marrant : avec cette espèce de dyslexie qui s'empare de moi dès que je tapote sur mon clavier d'ordinateur, je viens d'écrire « psychanalyse du signe », et je me dis que ce serait aussi une possibilité de chanson, ça, tiens, moi qui crois connement aux signes et les analyse à longueur de temps ! J'aime bien « Psychanalyse du singe ». Je l'aime en live comme en studio, précédée de cette si belle phrase assassine : « Si j'étais Dieu, j'croirais pas en moi » !

Ensuite, c'est « Whiskeuses images again ». Qu'est-ce que je les aime, ces images-là ! Tout à l'heure, l'ami Hubert se retrouvait comme « une poule devant un mégot », le voici cette fois « comme un pou dans une cage en feu », à « télégraphier son code foireux ». C'est sur cette version live que Thiéfaine dit « Übermensch ou underdog man ? ». Si, si, écoutez bien, juste après le coup du porte-manteaux. Un rythme bien balancé pour cette chanson qui nous raconte les errances d'un drôle de type qui quitte sa caverne pour voir « si l'on danse en éveil dans les particules du soleil ». Un type qui « traîne une vieille caisse marquée fragile »...

Puis, c'est « au nom du père, au nom du vice, au nom des rades et des mégots » et son rythme très particulier. Tiens, encore une histoire de mélancos, au pluriel, cette fois : « je glisse dans la moiteur des mélancos ». Une chanson sur la picole et la drogue. Qui me faisait presque flipper quand j'étais jeune, tant l'univers qu'elle décrit m'effrayait...

Ensuite, retentissent les douces notes du « Chant du fou ». Idem, cette chanson m'impressionnait beaucoup par le passé. Et la façon dont Thiéfaine l'interprète ici accentue ce sentiment d'étrangeté. « Demain, tu verras tous ces petits alchimistes pulvériser un continent » (même que je connais quelqu'un qui croyait que cette phrase se terminait par deux adjectifs : « pulvérisés, incontinents » !!!!). « Ta tête tombe de son socle de rêves », encore des mots qui me trottent souvent dans la tête. Une chanson bien énigmatique pour moi. Jamais réussi à en percer le mystère, et peut-être que dans ces cas-là, « faut laisser faire et c'est très bien ». Qui est ce fou qui a chanté 17 fois ? Pourquoi 17 fois ? Pas une de plus, pas une de moins ?!

 

La suite dans le courant de la semaine, si vous voulez bien. Cet album me bouleverse tellement à chaque écoute qu'il me faut un peu de repos à présent... Sans doute le live qui me violente le plus...

 

Ecrit le 7 février 2010, point final posé à 19h05. Je dédie cette note à ma maman, qui posait son point final le 7 février 2009 sur une page inachevée... C'est peut-être impudique de balancer ces mots ici, pardon...

« J'me réveille déglingué

avec un casque sur le nez

et j'ai beau raccorder les fils

j'traîne une vieille caisse marquée fragile ». Fragile...

 

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Méthode de dissection : ”HF Thiéfaine Paris-Zénith” (deuxième partie)

La pensée du jour : "Et je me suis rendu compte qu'il fallait absolument que j'écrive, parce que c'était une libération, parce que c'était une explosion sans conséquence pour les autres, c'était mieux que de casser la gueule à quelqu'un". CIORAN

 

Le CD 2 s'ouvre sur cette sublime chanson qu'est « La dêche, le twist et le reste ». Très belle version, déchirante même, avec ce superbe violon chinois qui vient imprimer encore plus de tension à cette histoire d'amour qui tourne mal. Pour moi, et je l'ai déjà dit ici, « La dêche, le twist et le reste », c'est un peu « La vie d'artiste » façon Thiéfaine. Même sombre histoire qui tourne au vinaigre, même mélasse financière (« on bouffe une fois tous les trois jours » / « cette fameuse fin du mois qui, depuis qu'on est toi et moi, nous revient sept fois par semaine » / « et notre pitance incertaine », « moi je bricole et je fabrique des chansons qui sont invendables » / «et nos soirées sans cinéma et mon succès qui ne vient pas »).

« ça peut durer jusqu'à toujours

à moins que l'on ait le courage

de se dire merde un beau jour

et de mettre fin au naufrage »...

Eh oui, comme chantait Ferré, « l'amour meurt

comme meurent les fleurs

l'amour meurt

comme mentent les gens

l'amour va

comme vont les rivières ».

L'amour meurt, passe son tour, englué dans un quotidien glauque (« tu t'jettes sur la bouteille d'éther pour ton vol plané à deux mille »), réduit à des préoccupations bien prosaïques, mais cependant essentielles... Est-il nécessaire de dire que cette chanson me flanqua une gifle inoubliable lorsque je la découvris, à 19 ans ? Légère impression, à l'époque, d'avoir une expérience commune avec cousin Hub'...

Ferré, tiens, je l'évoquais ci-dessus, et le revoilà donc, chanté par Thiéfaine : « La solitude ». Là encore, « je suis d'un autre pays que le vôtre », « le désespoir est une forme supérieure de la critique », tout cela me fit un effet boeuf quand j'étais jeune. Et c'est Thiéfaine qui, deux ans après la disparition de Ferré, me mena vers lui. De Ferré, j'aime surtout les adaptations qu'il a faites de certains poèmes de Verlaine, d'Apollinaire, de Rimbaud, d'Aragon, et de tant d'autres. J'aime « Pépée » j'aime « L'âge d'or », « L'amour meurt », « Les romantiques », « La mélancolie, « Vingt ans », « La mémoire et la mer », « Thank you Satan ». Et aussi le très beau livre Benoît Misère. Mais je n'ai jamais réussi à entrer pleinement dans l'univers de chansons plus obscures, comme « Le chien », par exemple.

Bref... En tout cas, l'interprétation que Thiéfaine livre ici de « La solitude » est excellente, je trouve. D'ailleurs, je me souviens d'une belle soirée consacrée à Ferré, à Lyon, et durant laquelle Hubert avait brillamment interprété des chansons de celui qu'il admire tant...

Ensuite, c'est « Alligator 427 » (sans « s » ici). La chanson aux lancinants leitmotivs (« vive la mort », « je vous attends »). La chanson qui est capable de me faire flipper quand je l'écoute dans le noir (si, c'est vrai, mais je dois dire que je suis très impressionnable !!).

Puis, un peu de douceur dans ce monde vendu aux « fantômes, aux hyènes et aux vautours » : « Je t'en remets au vent ». Avec une espèce d'effet de distanciation (« Verfremdungseffekt ») à la Brecht quand Hubert déclare avoir écrit cette chanson pour une certaine Jeanne-Marie Cramouillot, qui était sa petite amie au CM2. Il paraît de toute façon que « Je t'en remets au vent » date des très jeunes années de Thiéfaine. Avoir écrit cela sans grande expérience, faut le faire, quand même ! « D'avoir voulu vivre avec moi

t'as gâché deux ans de ta vie

deux ans suspendue à ta croix

à veiller sur mes insomnies ». Je me souviens encore du sourire de ma mère, à Sarreguemines, quand la chanson avait commencé. Sans doute une des seules qu'elle ait appréciées pendant le concert, avec aussi « Animal en quarantaine » et « Crépuscule transfert », le reste lui semblant trop baroque !! J'aime bien la façon dont Thiéfaine présente cette chanson : « Mon pauvre Thiéfaine, tu sais plus quoi inventer pour te rendre intéressant » (plus tard, il chantera pour se rendre intéressant, d'ailleurs !). Et le terrible « Maintenant, je crois que dans les cours de récréation, les petits enfants savent que la Bosnie-Herzégovine, ça existe ».

« A quoi peut ressembler ton spleen

ton désespoir et ton chagrin

vus d'une des étoiles anonymes

de la constellation du chien ? »

Deuxième medley ensuite. Avec « Was ist das Rock'n'roll » comme fil conducteur.

« Série de 7 rêves en crash position ». Alors là, à Sarreguemines, sentant approcher la fin du concert, et donc du rêve, je peux vous dire que les mots « mais que devient le rêveur quand le rêve est fini ?» avaient eu une saveur assez amère pour moi. Ce concert, je l'avais tellement attendu, tellement rêvé, que le vivre enfin marquait en même temps la fin de quelque chose. La fin d'une attente ardente, tout simplement...

Heureusement, il y eut « Encore un petit café » pour me tenir debout. Et « Pogo sur la deadline ». Fin du rêve. Pas grave, j'attendrai que passe le suivant, comme d'autres espèrent le prochain bar !

 

Et juste comme ça, pour le plaisir, un lien vers une interview d'Higelin, lien qu'Evadné m'a mis hier sur mon mur Facebook, cadeau pour lequel je la remercie, le grand Jacques restant, ici encore, fidèle à l'image que je me fais de lui. Image d'un être lumineux, pour qui l'amour demeure la valeur première. (Hugo, si tu passes par là, fonce voir ça, tu devrais aimer !)

http://musique.sfr.fr/recherche/?search=Higelin&targe...

Et notez déjà sur vos précieuses tablettes que Jacques Higelin sera au Fou du roi demain sur France Inter !

 

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Méthode de dissection : suite et fin avec ”Amicalement blues”

La pensée du jour : "Wenn du einem Menschen begegnest, soll er mit einem Lächeln weitergehen, und sein Puls soll um drei Grade stärker schlagen, weil du ihm eine Ahnung von seinen verborgenen Kräften und den in ihm schlummernden Ideen verschafft hast !" Fred WANDER.

 

 

Eh oui, j'arrive déjà au terme de ces dissections d'albums ! Il est grand temps qu'un avion (que dis-je, un missile, oui !) vienne enfin traverser les cieux thiéfainiens ! A quand ce nouvel album tant attendu dans le monde entier (ou presque) ?!!

« Amicalement blues », donc. Déjà, quand je saurai taper « amicalement » sans me gourer et sans transformer systématiquement cet adverbe en « amiclament », je serai contente ! Mais il me faudrait encore beaucoup d'entraînement ! Pas douée !!!

Allez, disons-le : lorsqu'il a été question de ce CD, au début, je me suis dit que ce ne serait pas pour moi... Je n'étais pas sûre d'aimer la musique de l'oeuvre à venir. Malgré mes vagues réticences (car, quand il s'agit d'HFT, mes réticences sont toujours vagues seulement !!), je me suis précipitée sur « Amicalement blues » dès sa sortie ! La petite intro signée Hubert me séduisit immédiatement : « Marshall, nous voilà  ! », il fallait y penser !

Première chanson plutôt sympathique. « Avenue de l'amour ». La chanson que Clara réclame souvent en ces termes : « Je veux yeah, yeah » !!! Deuxième chanson ... plutôt sympathique aussi. Replaçons-nous dans le passé, au moment où est sorti ce CD. Je l'écoute une première fois. Pas beaucoup de réactions. Je ne sais pas encore si j'accroche vraiment ou pas. Deuxième écoute, puis troisième. Des préférences commencent à se dessiner : d'emblée, « Photographie d'un rêveur » m'enchante. « Je veux juste t'offrir l'amour sans la mort ». Cette phrase me perturbe depuis que je l'ai entendue. Alors quoi, aimer quelqu'un reviendrait, la plupart du temps, à l'assassiner ? A le priver de sa substance ? Ici, le père Hubert nous propose autre chose. Un amour qui ne flinguerait pas l'autre, ne le réduirait pas à néant... En même temps, il a beau faire, il a beau dire, son amour demeure humain, donc imparfait, donc perfectible :

« Si parfois je ruisselle

comme un vieux troubadour

sous les yeux maternels

d'une barmaid trop glamour »... (dites, il s'agirait pas de la barmaid de cité X, précédemment évoquée ici ?!!)

On est loin de cette conception incroyable, trouvée un jour chez Vincenot : « Et même si tu regardes une femme, comme dit Tolstoï, et que tu la désires, ou seulement si tu la trouves désirable, tu as déjà commis l'adultère en ton coeur  ! » Bon, ben, mon rêveur, tu repasseras, tu as tout faux ! Non, désolée, je m'éloigne du sujet.

Bref... J'aime bien cette chanson qui dit, sur une musique que j'adore, la difficulté d'aimer...

Dans le genre « difficulté d'aimer », il y a aussi « Distance », chanson pas bien gaie. « Je ne suis plus rien juste une épave à brader »... Ici, il est question de « féminité flinguée », de beauté tuée... « Mais je n'vois maint'nant que le mot fin sur l'écran ». Un homme contemple les vestiges d'un amour déchiqueté. Chanson vraiment triste dont la musique a elle aussi des accents mélancoliques...

Deux autres chansons que j'aime bien sur « Amicalement blues » (purée, j'ai encore écrit « amiclament » ... ben oui, ce CD, c'est le fruit du travail de deux amis clamant le blues, finalement !) : « Rendez-vous au dernier carrefour » et « Spécial ado SMS blues ». Ah, et il y a aussi « Juste avant l'enfer ». Et « Amant sous contrôle », surtout pour sa belle envolée au moment de « tu es mon île

dans mes amours insensées »...

Un peu moins de tendresse pour « Emeute émotionnelle, » bien qu'un souvenir sentimental y soit lié puisque Clara (encore elle !) a longtemps cru qu'au lieu de « ta vie me tue », il fallait comprendre « avimetiou ». En un mot, en anglais, et ne me demandez pas ce que ça veut dire !!!

« Strindberg 2007 ». Un peu moins de tendresse pour cette chanson-là aussi. Mais quand même, « j'essaierai d'être sérieux à mon dernier soupir », c'est bon, très, très bon !

Sur cet album, il y a aussi des chansons auxquelles je n'accroche pas des masses : « L'appel de la forêt », « Les douceurs de la vengeance », « Your terraplane is ready mister Bob ! ». Et il y a aussi cette histoire de vieux bluesman et de bimbo que je trouve fatigante (oui, fatigante, trop répétitive)...

 

Voilà. Il s'agit là d'un album que globalement, j'aime bien, même si ici, les textes d'Hubert n'ont pas forcément la classe à laquelle nous sommes habitués (en bons enfants gâtés que nous sommes !).

J'avais bien aimé les deux concerts de la mini-tournée « Amicalement blues ». Ah oui, j'ai de très bons souvenirs de Paris et de cette rencontre entre fans après le concert. De très bons souvenirs de la Madine aussi... Un petit regret quand même, je le mentionne vite fait sans vouloir ressasser : l'annulation du concert de Thiéfaine-Personne au NJP. Pour la première fois, mon frère devait venir voir Hubert avec moi ! Je m'en faisais une joie... Vite retombée. Comme un soufflé. Comme un vieux string qui n'est plus « qu'une boule de nylon », oui ! Dommage, dommage...

Cet album renferme lui aussi, c'est la loi, sa petite allusion à l'Allemagne, même si elle n'est pas des plus heureuses : « j'ai jamais bien supporté

les vieilles polkas nazies ». Il est évident que je préfère les références à la peinture ou à la littérature d'outre-Rhin, mais bon...

Voilà. J'ai donc fini ce chapitre de dissections (mais il est possible, qui sait, que j'aie à le reprendre cette année encore, on veut y croire). J'attends vos avis sur « Amiclament blues » (cette fois, je l'ai fait exprès !!).

 

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Reims, 11 avril 2015

La pensée du jour (qui va énerver le Doc !) : "Tous les hommes, à un moment donné, ont sans doute besoin d'avoir une histoire à eux, pour se convaincre qu'il leur est arrivé quelque chose de beau et d'inoubliable une fois dans leur vie". Patrick LAPEYRE

 

Ces retrouvailles-là ne pouvaient avoir lieu que dans les grandes eaux d'un fleuve magistral. J'en ai rêvé, Hubert l'a fait ! Après la traversée du désert qui a suivi le Homo Plebis Ultimae Tour, cette sensation de sécheresse dans la bouche, l'angoisse que cette tournée ne fût la dernière, le peuple thiéfainien avait soif ! A Reims, en ce 11 avril, l'attente est fébrile. Pas de remarque désobligeante pour autant durant la première partie, assurée courageusement par deux petits jeunes répondant au nom d'Amelie Mc Candless. Il faut dire aussi que la chanteuse de ce groupe a une voix qui vous impose le silence, vous entraînant irrésistiblement dans son sillon envoûtant. A découvrir absolument.

21h05. Il est temps de sonner la fête. Le peuple thiéfainien a soif ! La salle plonge dans l'obscurité, on sent que notre immense attente va enfin être récompensée. Tant de jours à espérer, à désespérer aussi. C'est que le peuple thiéfainen est du genre légèrement passionné, extrême, excessif ! Pour ma part, au début du concert ce soir-là, j'ai la chair de poule, comme toujours, et tant pis si cela fait jeune midinette qui ne sait pas se tenir ! Ce soir-là, je mesure à l'intensité des frissons qui parcourent ma peau combien Hubert m'a manqué. Combien sa présence en ce bas monde est essentielle pour moi. Et tant pis si cela fait ado attardée dans la peau ridée d'une presque vieille de 41 ans. A chaque fois que j'ai vu Thiéfaine sur scène, mon cœur a retrouvé la fraîcheur de ses quinze ans ! Alors, ce soir-là, à Reims, comme tant d'autres fois ailleurs, j'ai quinze ans et je ne veux pas mourir, et je me fous des rabat-joie qui disent et, pire encore, pensent qu'avec les années, la raison doit vous coloniser par tous les pores. Le peuple thiéfainien n'est pas sage, cela n'a jamais été dans ses projets ! Ce qu'il veut, c'est brûler, se cramer les ailes, flirter avec les abîmes et redécoller, mais surtout pas s'enterrer dans une vie étriquée de costard, une vie qui respecte les limitations de vitesse et les priorités et refuse de se garer en double file !

Revenons-en au concert : dès le début, Hubert et sa bande envoient du lourd. En remontant le fleuve, ouverture grandiose du dernier album, ouverture tout aussi grandiose de ce concert ! Toute la soirée, c'est la part belle aux chansons de Stratégie de l'inespoir, mais pas seulement. De vieux titres sortent de leur antre, et c'est pour le plus grand plaisir du public. Le Doc m'avait dit avant le concert que le choix des morceaux allait me plaire, je confirme ! Les excellentes surprises ? Errer humanum est, Autoroutes jeudi d'automne (un monument à mes yeux !), Femme de Loth, Sentiments numériques revisités, Je t'en remets au vent, Les fastes de la solitude, Portrait de femme en 1922, Libido Moriendi. Il paraît qu'à la place nous aurions pu avoir aussi Syndrome Albatros. Je n'aurais pas dit non, de préférence pour les deux, tant qu'à faire !

Ce concert, premier d'une série que j'espère longue (je trouve qu'il manque des dates encore, il n'y aurait pas eu comme un oubli ou deux ou trois ?!), était d'une grande qualité, même s'il y a eu des petites amnésies ici ou là... Pour les oublis de dates, j'ai quelques suggestions : il y a Sarrebruck, par exemple. Oui ! Sarrebruck en Allemagne ! Je peux même me charger de trouver une salle ! Il manque la salle Poirel à Nancy, l'Arsenal à Metz, le Théâtre de Thionville. La Rockhal aussi, et son ambiance Soleil cherche futur. Et je ne parle ici que des salles situées près de chez moi, et je rappelle à tout hasard qu'avaler des kilomètres en voiture ne me fait pas peur, non mais !

Je dis toujours peu de choses de la musique, des musiciens, de leur jeu. Il faut dire que je n'y connais rien dans ce domaine. Je me contente d'apprécier, et c'est déjà pas si mal ! A Reims, ce 11 avril, j'observe la complicité des musiciens entre eux, celle qui les unit à Hubert aussi, et cette tendresse protectrice dont ils enveloppent Lucas, et je sirote tranquillement la substance de mon rêve éveillé.

Fin de partie vers 23h05. Vers les deux heures du matin, Evadné et moi regagnons nos pénates, les mirettes encore embrumées d'avoir visité d'autres cieux. Le dimanche matin, au petit déjeuner, nous avons peut-être "des gueules à briser les miroirs", mais nos yeux, que nous ne montrons qu'à contre-jour, renferment encore les univers bleutés où nous avons été transbahutées la veille.

Midi pile sous le soleil reimois qui cogne déjà fort en ce début avril. Yannig embarque Evadné dans sa voiture, ils vont rentrer dans leur Bretagne qui est un peu la mienne aussi, je ne vais pas tarder à rejoindre la Lorraine. Dernière photo un peu surréaliste devant une pub du CIC qui parle d'avenir, et c'est fini, il faut rentrer chez soi. En essayant de ne pas perdre de vue le beau rêve éveillé que nous avons fait ensemble. Tout de même, sur ce trottoir, les adieux me pèsent. Je me sens bien seule en les voyant s'éloigner, Evadné et Yannig. Pas de doute, j'ai 41 ans sous le soleil de midi, l'illusion de la jeunesse retrouvée ne dure jamais bien longtemps ! Enfin, au fond de moi, je sais que mes quinze ans ne sont pas loin. Ils reviendront en automne ... avec Hubert !

 

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Thiéfaine au Palais des Congrès de Strasbourg (2 mars 2016)

La pensée du jour : "Tout ira mal - et je serai désespéré - le jour où je ne serai plus poétiquement ému par les plus petites choses". Georges HALDAS

 

Cela commence par un éclat de rire. Deux femmes se retournent vers moi et me disent, une joie enfantine dans les yeux, qu’elles se sont trompées de sièges. Elles devraient être assises à côté de moi, elles se sont installées dans la rangée de devant ! Il va falloir déménager, enjamber des rivières de genoux, balbutier des « pardon » navrés, bousculer des tranquillités ! Deux minutes plus tard, les voilà installées à mes côtés, et nous engageons une discussion qui ressemble à toutes celles que j’ai déjà eues sur le vaste sujet qu’est Thiéfaine (mais je ne me lasse pas de ces mots, parce que toujours ils sont habités, vrais, sensibles !) ! Toujours on en vient à dire que cet artiste-là, sans le savoir, met un baume sur nos plaies les plus secrètes. Toujours on en vient à évoquer la claque que ce fut de découvrir son œuvre il y a dix, quinze, vingt ou trente ans. Des feux d’artifice explosent dans les regards, on se comprend, nos solitudes se tendent la main. L’une de mes voisines a découvert Thiéfaine il y a vingt-cinq ans. L’amie qui l’accompagne, Christine, a eu sa révélation il y a un an. Dans ses yeux, je lis une ferveur qui ressemble à la mienne. Les lumières s’éteignent. Il y a une première partie, ill river. C’est loin d’être désagréable, mais il me faudrait écouter ce groupe dans d’autres circonstances, pas quand monsieur Hubert-Félix Thiéfaine se trouve dans les parages et que je sais qu’il va surgir d’un instant à l’autre comme une tempête. Dans ces moments-là, je ne peux me concentrer sur autre chose que l’indescriptible attente bouillonnante qui palpite en moi. Désolée pour toutes les premières parties que je n’ai pas su honorer d’une écoute attentive, mais Hubert renverse tout sur son passage !

20h50. Les musiciens entrent en scène. Il y a dans l’introduction d’En remontant le fleuve une fièvre qui va crescendo, un rythme qui titille la tripaille, lentement, puis moins lentement, jusqu’à la faire flamber ! Thiéfaine arrive et un tonnerre d’applaudissements retentit, mêlant respect et enthousiasme. Le public est assis ce soir. Au début, nous sommes sages, posés là comme des images dans un livre pour enfants raisonnables. On n’ose pas trop bouger sur ces sièges confortables, dans cette belle salle où tout semble réglé à la baguette. C’est que ce serait presque intimidant ! Mais, çà et là, j’aperçois des gens qui se lèvent. On sent que ça en démange certains, de se dresser et de clamer leur bonheur plutôt que de le taire dans un recueillement timoré !! Une de mes voisines, celle qui écoute Hubert depuis vingt-cinq ans, remue dans tous les sens, je crois aussi qu’elle ressent une immense frustration, l’immobilité ne lui convient pas ! Les premières chansons, plutôt tranquilles, n’invitent pas forcément à se lancer dans des danses endiablées, avec force gesticulations ! Il faudra attendre Lorelei pour que le bateau se mette à tanguer un peu (ah, ces bonnes vieilles légendes germaniques !!) Avec 113ème cigarette sans dormir, il devient carrément ivre ! Presque toute la salle est debout, certains descendent tout près de la scène, improvisant une jolie fosse bordélique à souhait, que c’est un plaisir ! C’est que nous sommes comme la marmaille Thiéfaine, nous ! Disciplinés, mais seulement jusqu’à une certaine limite, au-delà de laquelle nous ne répondons plus de rien, désolés ! Des concerts, nous en avons enchaîné un paquet, debout, mal au dos et aux jambes, après avoir fait la queue dehors pendant des heures, mais qu’à cela ne tienne, le cœur est vaillant, lui, et même en sa soixantaine, alors ce ne sont pas quelques sièges bien ordonnés qui vont nous effrayer. Adieu la retenue du début, nous voilà pris dans un engouement que rien n’arrêtera ! Thiéfaine et ses musiciens nous regardent, étonnés, un brin amusés. Flattés sans doute aussi (et on les comprend) de voir que ce qu’ils nous donnent ce soir amène cela en retour ! C’est une joyeuse démence qui a soudain enflammé la salle. La fille du coupeur de joints viendra porter au plus haut cette espèce d’extase collective ! Pour clore la soirée, Thiéfaine interprète Des adieux, seul à la guitare. On le sent ému. Une fois de plus, son public, fidèle comme une jeune épouse, lui a prouvé toute la majesté de son amour. C’est plus fort que nous : nous sommes là depuis des années, des décennies parfois, nous avons chopé des rides depuis la claque initiale (et initiatique), mais quelque chose, au fond de nous, est resté intact et pur : c’est cet amour qui nous dépasse. Qui brûle et qui veille en nous, petite flamme obstinée et costaude…

Les lumières se rallument. Sur les visages, l’éblouissement est encore bien vivace, peut-être même que nous allons le promener plusieurs jours avec nous, traversant la grisaille avec ce secret lumineux gravé sur nos traits !

Les lumières se rallument, disais-je. Ma voisine, Christine, se tourne vers moi et m’embrasse, et je ne connais rien de plus beau, pour dire la joie et la reconnaissance, que ce baiser inattendu déposé sur ma joue. Elle me dit qu’elle est heureuse d’avoir fait ma connaissance et d’avoir assisté au concert en ma compagnie. La réciproque est vraie, Christine, et si le hasard t’amène un jour à ouvrir les portes de ce Cabaret, sache que je serai heureuse de t’y accueillir. Je n’oublierai pas ton sourire, je n’oublierai pas ce que tu m’as dit et que tu ne comprenais pas toi-même, je cite !

Retour dans la nuit chez mon collègue Renaud, qui m’hébergeait pour la nuit. Dans la voiture, nous échangeons sur nos vies, nous sommes encore un peu ailleurs, délicieusement ailleurs. Au petit matin, il quitte la maison, et je descends voir sa maman. Elle m’offre un café, nous papotons. Nous nous connaissons à peine, mais le courant passe illico (il faut dire qu'Hubert crée des liens !) Elle me dit des choses qui me chamboulent, qui me font entrevoir la délicatesse de son âme. Bon sang, que le public de Thiéfaine est beau, dans sa diversité, sa profondeur et ses blessures !

Merci à Françoise, pour tout, absolument tout. Merci à Corinne pour les encouragements au sujet de ce blog, merci à Bruce et Cindy, pour les mots échangés dans le froid (c’est devenu une habitude !) Amitiés au Doc, que je n’oublie jamais, mais je crois qu’il le sait malgré ses innombrables taquineries !

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Yves Jamait à l'espace Chaudeau le samedi 8 décembre : le don et la vie dans les grandes largeurs !

"Espérons. Nous n'avons pas le choix". Simone DE BEAUVOIR

 

L'univers d'Yves Jamait, ce sont parfois des amours qui titubent, exsangues, d'un bar à l'autre, passant de l'étincelante ivresse aux pertes et fracas de la réalité dégommante. Ce sont des ardoises pas réglées, des comptoirs qu'un coup de torchon fait reluire à défaut des âmes. Ce sont aussi des revendications sociales, et Jamait se range du côté des « petits », n'oubliant pas qu'il en fit partie un jour (on aurait tout intérêt, je crois, à réécouter Y en a qui en ces temps de désolation, comme dirait notre ami Hubert...). Yves Jamait, c'est aussi une voix que toutes sortes de choses ont poncée : verveine et compagnie. C'est l'absence étouffée d'un père, des caresses pour le dimanche, et de la joie aussi. Ne pas oublier la joie. Celle-là même qui a fait écrire à notre homme les plus belles de ses chansons, il me semble (J'en veux encore, par exemple).

Alors quand ce monsieur arrive sur scène comme on entrerait dans un bistrot, il y aurait de quoi crier « respect ». Ce qui déboule avec lui dans la salle, ce sont des rafales de vent. L'histoire d'un être. Sans falbalas. Une sensibilité qui se donne à fleur de micro. Une générosité quasi palpable. On sort de là et on voudrait aller étreindre le premier inconnu venu en lui disant « toi et moi nous sommes frères ».

Yves le grand, Yves le facétieux aussi. Le concert de Ludres (comme tous ceux de la tournée actuelle, j'imagine) devait être précédé d'une première partie. C'était même écrit en toutes lettres sur le billet. Alors nous, ben quoi, on y croyait. On voit débarquer trois gugusses ne pipant mot et attaquant d'emblée par de la musique, et de la bonne en plus, alors on glisse dans tout cela sans y prendre garde. Et puis, comme ça, l'air de rien, quelques notes font soudain penser à l'une ou l'autre des chansons d'Yves Jamait. « Tiens, se dit-on, cet air ressemble à celui du Coquelicot. Tiens, ça aussi, ça me rappelle quelque chose ». On a à peine le temps de se formuler clairement ces réflexions que le voilà qui arrive, notre Yves. Il s'est fait beau pour l'occasion : des chaussures rouges, une veste colorée, tranchant sur le noir du pantalon et du tee-shirt. Il a quelque chose de tous ces copains de galère qui vous adoucissent le sort sans le savoir. C'est dans la voix, c'est dans les textes, c'est dans l'énergie. Comme une consolation. On le regarde évoluer sur scène, on l'écoute, on est happé par un truc mystérieux. Cela doit s'appeler don, sans réserve et dans les plus grandes largeurs qui soient. Tous les soirs refaire le même boulot et y aller le sourire aux lèvres, avec peut-être encore plus d'entrain que la veille, qui sait. Yves fait sentir à ceux qui se sont déplacés pour lui que ce n'est pas rien à ses yeux et qu'il sait apprécier l'offrande. Qui se fait réciproque. Sans déséquilibre. Ce qu'il donne, il le reçoit en retour, ce qu'on lui donne nous revient, et c'est sans fin ou presque. C'est en tout cas comme ça deux heures durant, jusqu'à épuisement du stock.

Donc, la première partie, c'était une boutade, une manière de nous enfumer un peu, mais gentiment. Cela change des enfumages auxquels on est habitué. Rien à voir. C'était simplement une mise en bouche, histoire de nous y fourrer un coquelicot dedans.

Et les chansons se déroulent, et l'on pense un peu à Brel en voyant Yves jouer des sérénades à son micro. Oui, il y a là quelque chose qui rappelle le grand Belge. Une même façon, peut-être, de vivre de l'intérieur les mots qui grelottent dans la voix...

La complicité avec ses musiciens est elle aussi palpable. Pour les présenter, Yves Jamait a choisi une mise en scène pour le moins originale : un défilé de mode. Et chacun de venir se pavaner devant le public, sous les commentaires très professionnels du chanteur qui semble pendant quelques minutes s'être glissé dans la peau d'un styliste. Et vas-y que je te détaille la tenue des trois compères. On rit aux éclats, quelques minutes seulement après avoir pleuré sur Insomnies et sur Le temps emporte tout (magnifique version, somptueuse de mélancolie dans cette lenteur qui lui va si bien, et à laquelle nous n'étions pas habitués).

On sort de là revigoré, comme je l'écrivais plus haut. Réconcilié, quelque part, avec tous les tours pendables de la vie. Yves est là, lui aussi a souffert et a su transformer la boue en or, sublimant chacune de ses défaites. Durant tout le concert, on a l'impression d'avoir réellement compté pour quelqu'un. Certes, on est dirigé par des gens qui, n'ayant jamais été dans la merde, ignoreront toujours nos problèmes (fins de mois raides à boucler, et tout le saint-frusquin). Certes, la vie nous malmène (« après avoir souffert, il faut souffrir encore », n'est-ce pas, comme l'écrivait Musset), mais Yves est là, comme une lanterne qui brillerait dans les ténèbres. On se sent moins seul et moins floué.

Après deux heures de don total, eh bien, il donne encore : le voilà qui s'installe à une table, dans le hall de l'espace Chaudeau, et vient signer des autographes, se prêter sans broncher au jeu des photos qui finiront sur Facebook, entre deux clichés de vacances. Il transforme en franche rigolade un moment qui pourrait être franchement pesant. Tous ces gens qui défilent et demandent une signature pour un beau-frère alité ce soir ou qui sais-je encore, une autre pour eux-mêmes, et puis encore une photo : on trouverait presque cela gênant, sauf que notre ami Yves en fait autre chose. Une dame lui demande s'il peut écrire « À X, forever ». Et lui de renverser le truc et de tracer malicieusement : « À X, for never ». Durant chaque séance photo, il prend les choses en main, subtilise les portables, louche, fait les gros yeux, passe du sourire à la grimace, implique le vigile s'il le faut, lui demande son avis (et le visage de ce dernier de s'illuminer, parce qu'il se sent pris en compte, lui aussi, comme tous ceux qui sont là ce soir). On voudrait que cela dure jusqu'à trois heures du matin, on se demande si Yves aurait encore autant d'imagination au cœur de la nuit, et on en est soudain certain. Parce que ce monsieur-là, ce grand monsieur-là, il vit à fond le moment présent, il est dedans non pas aux trois quarts seulement, mais entièrement, jusqu'à la racine des cheveux. Il étreint la vie avec gourmandise, même pas peur de l'amertume ! Pour un peu, je vous dis, il nous la rendrait sympathique...

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Sur les cendres danser, le dernier album de Jil Caplan

"Tu voudrais tout éteindre

Sur les cendres danser

Tu voudrais tout étreindre

Quitte à mourir brûlé". Jil CAPLAN

 

Enfant, j'appris très tôt, grâce à ma mère, que la vie sans musique ne pouvait être qu'une succession de jours sans couleurs. Je me souviens des longues séances avec elle dans la cuisine, à écouter religieusement après les repas Véronique Sanson, Alain Souchon, et tant d'autres. Ma mère possédait de nombreuses cassettes qui recelaient des trésors. Elle était convaincue que la vaisselle, c'était plus marrant, c'était moins désespérant en chantant. La musique l'accompagnait dans toutes les tâches qu'elle accomplissait jour après jour. Et moi j'étais là, dans mon coin, l'air de ne pas me laisser chambouler plus que ça, et pourtant... Et pourtant, j'avais déjà des tracas qui me dépassaient : pourquoi la dame de Vive la rose était-elle malade ? Pourquoi « j'suis mal en campagne et j'suis mal en ville, peut-être un p'tit peu trop fragile » ? Tout cela me perturbait beaucoup. Quelque part, au fond de moi, sans que je puisse le formuler clairement, je sentais que les artistes étaient des êtres à part qui, de la vie méchante, faisaient autre chose. Quelque chose de plus grand et de meilleur. C'est avec eux que j'appris à marcher en ce bas monde. Grâce à ma mère pour qui une seule journée sans musique était inconcevable. Elle me mit très vite entre les oreilles des chansons mélancoliques qui parlaient du temps assassin, d'amours brisées, etc. Même La demoiselle, d'Angelo Branduardi, sous ses allures de romance enjouée, avait un arrière-plan ultra triste.

Ma mère aimait également les poèmes. Ceux de Ronsard tout particulièrement. J'eus très tôt accès sans restriction aucune à la bibliothèque maternelle. C'est ainsi qu'à douze ans je lus Les amours, de Ronsard justement, sans forcément comprendre toujours de quoi il retournait, mais me laissant bercer par la musique qui faisait danser l'ensemble. Ce n'était pas très joyeux non plus. « Et on voudrait qu'j'aie le moral », comme chantait Brel ! Plus tard, je lus, sous la plume de Musset, que « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Tout un programme ! Qui devait me conduire, de façon assez logique, vers Thiéfaine et sa poésie rarement jouasse !

Mais il n'y a pas que Thiéfaine dans la vie, je l'ai déjà dit. Quoique, des fois, quand même, on se demande... Non, soyons honnêtes : même quand on a fait d'un artiste son chouchou, on reste ouvert aux autres (et c'est souhaitable). Ainsi, en ce moment, je n'écoute pas Thiéfaine, mais le dernier album de Jil Caplan et quelques chansons de Warhaus, groupe que j'ai découvert au NJP (il passait avant HFT). Open window, entre autres, est une petite merveille. Essayez, pour voir !

Jil Caplan, je l'ai découverte, comme bien des gens je crois, avec Tout c'qui nous sépare. C'était dans les années 1990. Je fus immédiatement conquise par les mots et la voix de cette chanteuse. La voix : vraiment incroyable. Si bien que même quand Jil Caplan ne chante pas, elle a toujours un chant dans la gorge. Au bord des lèvres, prêt à éclore, et c'est beau. C'est une voix qui swingue naturellement. Qui est le swing à elle toute seule ! 

J'ai tous les albums de Jil Caplan. Et je l'ai vue deux fois en concert. La première fois, c'était chez Paulette, à Pagney-derrière-Barine, bled paumé non loin de Toul. À frôler le panneau qui indique Pagney-derrière-Barine, tu ne soupçonnerais pas l'existence, ici, d'une salle de concert. Eh bien si ! Jil Caplan s'y produisit en 2006. Je me souviendrai toujours de son arrivée complètement dingue à Pagney-derrière-Barine : elle avait débarqué, pas starlette du tout, tenant en laisse un magnifique labrador noir. Je crois qu'aujourd'hui encore elle aime les chiens. Preuve : la chanson Animal animal, dans laquelle elle dit « J'ai trouvé mon frère qui ne parle pas, qui ne dit rien,

Qui ne demande qu'un geste tendre ».

Tout l'album est beau. Le titre, déjà : Sur les cendres danser. Un titre qui annonce la couleur : ce n'est pas parce que tout est désastre autour de nous qu'il faut renoncer à danser. C'est ça que nous apprennent les artistes, eux à qui il est donné d'empoigner des horizons plus beaux que ceux du commun des mortels !

Allez, quand même, il faut bien l'avouer : même si j'aime absolument toutes les chansons de cet album, j'ai un faible pour Virginia (une chanson sur Virginia Woolf), Daronne, Sur les cendres danser, Être heureux, Même Marylin. Musicalement, c'est très différent du CD précédent, Imparfaite. C'est plus rock, plus tranchant.

« Être heureux, peut-être que ça n'existe pas », chante Jil Caplan. Non, c'est vrai, c'est par touches, de temps à autre. Entre les gouttes, comme disait Romain Gary. En tout cas, être heureux, sans la musique : impossible ! Ma mère avait raison...

 

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”Mais la nostalgie, tu sais, autour de 40 balais, quand ça t'chope”...

La pensée du jour : "Te raconter enfin

qu'il faut aimer la vie

et l'aimer même si

le temps est assassin

et emporte avec lui

les rires des enfants

et les mistral gagnants". RENAUD

 

 

Bon, finalement, je ne pondrai pas de note sur La bande à Renaud ! Après plusieurs écoutes, je suis moyennement emballée. Je sauverais juste En cloque, Je suis une bande de jeunes et La médaille... Je sais, ça ne fait pas bézef, mais je n'accroche pas, je n'y peux rien. Ayant toujours pris le parti de ne parler ici que de ce que j'aimais et d'éviter les descentes en flèche peu constructives, je dirai simplement que cet album invite à une seule chose : réécouter Renaud dans le texte ! Dans son jus à lui, inimitable !

Renaud, c'est toute mon enfance...

1983 : je vais avoir dix ans, mon frère en a quinze. Depuis quelque temps, il ne jure plus que par un artiste : l'ami Séchan ! Je plonge aussi, du coup ! Et je me souviens d'un trajet épique vers la Bretagne, destination incontournable de toutes nos vacances : mon père a accepté de mettre une cassette (oui, une cassette !) de Renaud dans la voiture. Mon frère chante à tue-tête toutes les chansons, il les connaît par cœur. Secrètement, je l'envie. Dès que possible, je piquerai la cassette, tiens, pour m'approprier moi aussi ces textes truculents et truffés de gros mots !

Tout à coup, toujours sur ce même trajet qui nous conduit vers le beau pays d'Armor, je demande à mon père : « Mais papa, ça veut dire quoi la mer c'est dégueulasse, les poissons baisent dedans ? » Je ne sais plus quelle réponse mon père donna à cette innocente question !!! Pour Klaus Barbie, il s'en était tiré par une pirouette : « Klaus Barbie, ben, c'est celui qui a créé toutes ces poupées que tu aimais tant »...

Bref... La mer c'est dégueulasse, les poissons baisent dedans. Peu à peu, je vais faire miens des textes auxquels je ne comprends goutte. « La môme du huitième, le hasch, elle aime », j'ai mis un temps fou à piger !!!

Les chansons de Renaud, c'est donc comme un pont entre ma vie actuelle et mon enfance. Dans une interview, Renaud déclarait il n'y a pas si longtemps que ça : « j'ai du mal avec la vie ». Moi aussi, j'ai du mal avec la vie. La vie comme elle va, comme elle fout le camp, comme elle se fait massacreuse du rire des enfants. Dans Les dimanches à la con, Renaud parle de cette foutue nostalgie qui fait des ravages autour de 40 balais. Je connais bien ça, l'impression de voir les choses s'en aller mourir dans la grande fosse du temps, l'impression que la faucheuse ne lâchera pas le morceau et que cette fois « adieu l'enfance » pour de bon... L'impuissance totale devant le grand aspirateur qui nous rappellera tous tôt ou tard.

Renaud, c'est mon frangin, mon poteau, je comprends ses déchirures. C'est un être fragile qui refuse le monde tel qu'il est et qui ne parvient plus (pour l'instant, en tout cas) à noyer son chagrin dans la création. Il est condamné au silence pour l'instant, mais je rêve encore et toujours d'un retour fracassant du bonhomme, et que les « tatatin » fusent comme avant, repris en chœur par un public fou de joie d'avoir enfin retrouvé la chetron sauvage !

 

Visiteur, visiteuse de ce blog, si toi aussi tu aimes Renaud, mets ici un simple petit mot, s'il te plaît. Juste pour faire exploser les commentaires, pour marquer ton soutien au tendre Gavroche qui mérite tant nos déclarations d'amour !

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”La main de Cendrars”...

La pensée du jour : "L'allemand est une langue injustement décriée", Gérard MORDILLAT (Non, ce n'est pas moi qui ai inventé ces mots pour me faire mon petit trip dans mon coin : on les trouve bel et bien dans le très beau livre Rue des rigoles, de Mordillat, donc).

 

Toujours dans la série "les poètes se vendent en pièces détachées", voici aujourd'hui ... Blaise Cendrars :

L'oeuvre de Blaise Cendrars est l'histoire d'une vie. Vie et oeuvre sont ici confondues, a dit Henry Miller, en une même "étincelante masse poétique dédiée à l'archipel de l'insomnie". Né le 1er septembre 1887 à La Chaux-de-Fonds, d'un père suisse, homme d'affaires, et d'une mère écossaise, il bourlingue dès son plus jeune âge, avec son père ou son précepteur, d'Egypte en Angleterre, de Palerme à Montreux. A quinze ans, en 1902, quand on exige de lui qu'il fasse des études sérieuses, il s'enfuit de Neuchâtel, prend le train pour Bâle puis pour Berlin, file vers Königsberg et Cologne, va d'une gare à l'autre, de peur d'en sortir et d'être rattrapé, pour finir exténué et sans argent, devant le guichet d'un prêteur sur gages de Munich...

Ainsi fera-t-il toute sa vie : Saint-Pétersbourg, la Perse, Pékin, New York, autant d'endroits fabuleux, inséparables de rencontres et d'aventures plus fabuleuses encore. De ce creuset magique sortent les Pâques à New York et la Prose du transsibérien.

En 1914, il se marie puis part pour la guerre, où il est blessé. On lui coupe le bras droit. Le manchot magnifique continue à vagabonder de par le monde, écrit l'Anthologie nègre et l'Or, collabore avec Abel Gance et Darius Milhaud, devient grand reporter à France-Soir... De Hollywood au Chili, de Rhum à Moravagine, il brûle sa vie et son génie. Après un silence de trois années, il commence en 1943 l'Homme foudroyé, que suivront La Main coupée et Bourlinguer. La mort, le 17 janvier 1961, vient mettre un terme presque incongru à cette vie frémissante - celle d'un moine baroudeur qui, en quête d'absolu poétique, a défié le temps et l'espace et connu tous les grands vertiges.

Source : Le grand livre de la poésie française, Marcel JULLIAN.

 

Et voici aussi ...

 

LE VENTRE DE MA MERE

 

C'est mon premier domicile

Il était tout arrondi

Bien souvent je m'imagine

Ce que je pouvais bien être...

 

Les pieds sur ton coeur maman

Les genoux tout contre ton foie

Les mains crispées au canal

Qui aboutissait à ton ventre

 

Le dos tordu en spirale

Les oreilles pleines les yeux vides

Tout recroquevillé tendu

La tête presque hors de ton corps

 

Mon crâne à ton orifice

Je jouis de ta santé

De la chaleur de ton sang

Des étreintes de papa

 

Bien souvent un feu hybride

Electrisait mes ténèbres

Un choc au crâne me détendait

Et je ruais sur ton coeur

 

Le grand muscle de ton vagin

Se resserrait alors durement

Je me laissais douloureusement faire

Et tu m'inondais de ton sang

 

Mon front est encore bosselé

De ces bourrades de mon père

Pourquoi faut-il se laisser faire

Ainsi à moitié étranglé?

 

Si j'avais pu ouvrir la bouche

Je t'aurais mordue

Si j'avais pu déjà parler

J'aurais dit :

 

Merde, je ne veux pas vivre!

Blaise CENDRARS

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