29/05/2006
"Moi, je pars pour Dublin sur un nuiteux cargo qui traverse le temps perdu de la sagesse et rejoins le bateau ivre d'Arthur Rimbaud"
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots ! Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres, L’eau verte pénétra ma coque de sapin Et des taches de vins bleus et des vomissures Me lava, dispersant gouvernail et grappin. Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème De la Mer, infusé d’astres, et lactescent, Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend ; Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rythmes lents sous les rutilements du jour, Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l’amour ! Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes Et les ressacs et les courants : je sais le soir, L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques, Illuminant de longs figements violets, Pareils à des acteurs de drames très antiques Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ! J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs, La circulation des sèves inouïes, Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs ! J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries Hystériques, la houle à l’assaut des récifs, Sans songer que les pieds lumineux des Maries Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs ! J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ! J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan ! Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces, Et les lointains vers les gouffres cataractant ! Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises ! Echouages hideux au fond des golfes bruns Où les serpents géants dévorés des punaises Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums ! J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants. Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux… Presque île, ballottant sur mes bords les querelles Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds. Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles Des noyés descendaient dormir, à reculons ! Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ; Libre, fumant, monté de brumes violettes, Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur Qui porte, confiture exquise aux bons poètes, Des lichens de soleil et des morves d’azur ; Qui courais, taché de lunules électriques, Planche folle, escorté des hippocampes noirs, Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ; Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais, Fileur éternel des immobilités bleues, Je regrette l’Europe aux anciens parapets ! J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : -Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles, Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ? Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer : L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
O que ma quille éclate ! O que j’aille à la mer ! Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache Noire et froide où vers le crépuscule embaumé Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, Enlever leur sillage aux porteurs de cotons, Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes, Ni nager sous les yeux horribles des pontons. Arthur RIMBAUD
PS : Bon, ça va encore sortir tout merdique! Vous rétablirez les strophes! Mille excuses, ce blog n'en fait qu'à sa tête!!!!
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28/05/2006
Rio Reiser : "piment et alcools forts"
Dans le genre « piment et alcools forts », pour reprendre une expression chère à HFT, Rio Reiser n’était pas mal non plus. En écoutant plus attentivement le texte de sa chanson « Gefahr », on comprend que cet homme voulait brûler sa vie, quitte à se brûler les ailes, quitte à brûler les étapes et à mourir, par exemple, à 46 ans… Dans ce fameux texte, il dit en substance qu’il aime flirter avec les écueils, avec le danger, s’imbiber d’alcool, se jeter à corps perdu dans les paradis artificiels. Bref, le fil du rasoir, ça le connaît. Et il avoue haut et fort qu’il préfère son mode de vie à un quotidien bien au chaud dans ses pantoufles…
Rio Reiser rêvait, dans sa chanson « König von Deutschland », de tout ce qu’il aurait fait s’il avait été « roi d’Allemagne ». Cela ne vous rappelle rien ?!
Avant de mettre sur le blog le magnifique texte de « Gefahr », je tiens à rectifier un point de la note que j’ai écrite vendredi : en Allemagne, on trouve à présent la biographie de Rio Reiser, écrite par Hollow Skai. Me voilà en possession de ce bouquin !
GEFAHR
Na wie geht’s in euerem Kästchen? Fühlt ihr euch wohl in euerem Nestchen?Oder hakt’s bei den Rädchen, verwirren sich vielleicht die Fädchen?
Ich will fliegen, tauchen, rasen, will nicht Angst, ich will Gefahr.
Ich will leben, will mich fühlen und ich zahl dir jetzt und bar.
Autobahn, linke Spur, hart am Abgrund, hart am Rand.
Ich allein in New York, jemand raubt mir den Verstand.
Unter Geiern, Löwenkäfig, giftige Schlangen in meinem Bett.
Alle Drogen, Alkohol, ich will Gefahr von A bis Z.
Ich steh gern auf Häuserdächern, geh gern über dünnes Eis.
Und ich tanz gern auf dem Seile, manche mögen’s eben heiß.
Ich will Gefahr, will sterben oder töten,
Spring aus den Wolken dem Haifisch ins Maul.
Ich spreng den Staudamm, bebe die Erde,
flieg auf nem Drachen von Pol zu Pol.
Ich will mein Blut sehen, ich will fallen,
ich will tauchen bis zum tiefen Rausch.
Eine Nacht in der Wüste, ein Wochenende im Irrenhaus.
Ich will verbrennen, explodieren, nix in der Hand und nichts mehr im Griff.
Alle Bremsen soll’n blockieren, volle Kraft aufs nächste Riff.
Ich will mich töten, will mich retten, will barfuß durch die Hölle gehen.
Ich will Fieber, ich will Frost, will die Welt nicht durch die Glotze sehen.
ich bin das große Unbekannte und heiße XYZ.
Du kriegst mich nicht auf deinen Radarschirm, ich bin ein unsichtbares Flugobjekt.
Musique : Rio REISER
Paroles : Rio REISER et Peter MÖBIUS
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26/05/2006
Une chanson des Ton Steine Scherben (lire d'abord la note concernant Rio Reiser. Enfin, si vous voulez!)
WIR MÜSSEN HIER RAUS
Im Bett ist der Mensch nicht gern alleine
Und in meinem Bett ist grad noch Platz für dich
Doch mein Alter ist fast jeden Tag zu Hause
Und ich glaub, er hat was gegen dich.
Für mich ist die Welt nicht mehr in Ordnung,
Nicht früh um sieben und auch nicht nach der Tagesschau.
Für mich heißt das Wort zum Sonntag „Scheiße“
Und das Wort zum Montag „Mach mal blau!“
Wir müssen hier raus! Das ist die Hölle!
Wir leben im Zuchthaus!
Wir sind geboren, um frei zu sein,
Wir sind zwei von Millionen, wir sind nicht allein.
Und wir werden es schaffen, wir werden es schaffen.
Mein Alter sagt, die Welt wird sich nicht ändern,
Dabei weiß er ganz genau, was läuft.
Doch er glaubt, er vergisst die ganze Scheiße,
Wenn er abends in der Kneipe hängt und säuft.
Er sagt, der schönste Platz ist immer an der Theke,
Da hat er Recht, zu Haus ist kaum noch Platz für drei.
Darum bin ich auch den ganzen Tag auf Arbeit,
Man kann sagen, ich bin so frei.
Wir müssen hier raus! Das ist die Hölle!
Wir leben im Zuchthaus!
Wir sind geboren, um frei zu sein,
Wir sind zwei von Millionen, wir sind nicht allein.
Und wir werden es schaffen, wir werden es schaffen.
Wir werden es schaffen.
Und was kann uns hindern? Kein Geld, keine Waffen,
Wenn wir es wollen. Wir werden es schaffen.
Wir sind geboren, um frei zu sein.
Wir sind zwei von Millionen, wir sind nicht allein.
Wir sind geboren, um frei zu sein,
Wir sind sechzig Millionen, wir sind nicht allein.
Wir sind geboren, um frei zu sein.
Frei!
Paroles et musique : Rio REISER et R.P.S. LANRUE
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Rio Reiser, un chanteur allemand
Ce matin, j’ai mis, sur ce blog, un lien vers un site où il est question d’un chanteur allemand que j’adore : Rio Reiser. Je vais faire un hors sujet ce soir, puisque je vais parler de lui ! Mais tant pis, c’est trop important ! Ce grand monsieur fut un jour surnommé, dans le Spiegel, « la réplique allemande de Mick Jagger » !
Rio Reiser, de son vrai nom Ralph Möbius, est né en 1950 à Berlin. Il aurait donc 56 ans aujourd’hui… Il aurait. Car il est mort le 20 août 1996. A l’âge de 46 ans, donc. Un certain mystère entoure sa mort. On parle d’hémorragie interne. Rio Reiser avait déjà eu, avant août 1996, de graves problèmes de santé. Il disait qu’il ne savait pas lui-même de quelle maladie il était atteint. Certains disent qu’il avait de gros problèmes avec l’alcool et la drogue. Une biographie aurait dû être publiée en Allemagne le 10 mai de cette année. Mais la famille et quelques personnes proches de Rio Reiser ont apparemment bloqué la parution de ce livre, qui, justement, dévoilerait trop de choses (notamment à propos de la mort de l’artiste) et serait truffé d’inexactitudes… Je n’ai pas pris le temps de lire tous les articles publiés sur Internet à ce sujet. J’attends avec impatience la parution du bouquin en question car j’ai quand même envie de connaître un peu mieux le parcours de cet écorché vif.
Dans les années 70 et au début des années 80, il fut le chanteur d’un groupe allemand culte : Ton Steine Scherben. Un groupe de rock qui balançait d’énormes pavés dans la mare, rêvait d’une autre Allemagne et d’anarchie. Ce matin, en me baladant sur des forums où il était question du groupe, j’ai trouvé les paroles d’une chanson que j’adore : « Wir müssen hier raus », assorties du commentaire suivant : « L’hymne de ma jeunesse ». Je mettrai les paroles de cette chanson sur le blog.
En 1985, les membres du groupe se séparent. Rio Reiser va très vite entamer une carrière solo. Beaucoup de ses fans vont alors se détourner de lui et l’accuseront de se commettre avec le système qu’il avait pourtant dénoncé avec tant de véhémence au temps de Ton Steine Scherben. Je ne veux pas prendre position. Pour ma part, j’aime autant l’esprit subversif et engagé de Ton Steine Scherben que le côté plus intimiste des chansons que Reiser écrivit par la suite. Quand je l’entends chanter de sa voix cassée « Es ist vorbei, bye, bye », je fonds littéralement ! Du jour où il commença une carrière solo, Reiser écrivit effectivement des choses plus personnelles, mais resta engagé politiquement et voulut, en 1990, défendre les intérêts des Allemands de l’Est, ce qui n’était pas si bête ! D’ailleurs, il y a un document que je dois me procurer au plus vite : le DVD du spectacle que donna Rio Reiser à Berlin peu de temps avant la chute du Mur. Certaines chansons avaient apparemment été censurées et sont mises en bonus sur le DVD. Génial !
Rio Reiser aimait à se retirer à Fresenhagen, près de la frontière danoise. Il y possédait une ferme. Une de ses dernières volontés était de reposer un jour sous le pommier qu’il pouvait admirer depuis son bureau. A sa mort, sa famille fit tout pour exaucer ce voeu. Aujourd’hui, on peut aller écouter des concerts dans la « maison Rio Reiser », on peut y passer plusieurs jours. J’adorerais y aller !
Vraiment, si vous avez un jour l’occasion d’écouter Rio Reiser, en solo ou avec Ton Steine Scherben, n’hésitez pas. Fermez les yeux et laissez-vous porter par la magie de la langue allemande (oui, j’ose le dire comme ça, n’en déplaise à l’immense foule de gens qui trouvent que l’allemand est une langue affreuse !) et la voix cassée d’un grand bonhomme, d’un écorché vif. Encore un pour qui la création artistique fut le seul moyen d’échapper à la trop rugueuse réalité…
Pourquoi parler de Rio Reiser sur un blog consacré essentiellement à Thiéfaine ? Parce que, justement, « essentiellement » ne veut pas dire « exclusivement » ! Et puis je trouve beaucoup de ressemblances entre les deux personnages… Et puis je fais ce que je veux sur mon blog !!!
22:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
23/05/2006
A propos des titres des chansons de Thiéfaine...
Ah, les titres des chansons de Thiéfaine ! Tout un poème ! « Première descente aux enfers par la face nord », « La môme kaléidoscope », « 113ème cigarette sans dormir », « Mathématiques souterraines », « Taxiphonant
d’un pack de Kro », « Exil sur planète fantôme », « Soleil cherche futur », « Les dingues et les paumés », « Whiskeuses images again », « Chambre 2023 (et des poussières) », « Dies ole sparadrap joey », « Bipède à station verticale », « Errer humanum est », « Syndrome albatros », « 542 lunes et sept jours environ », « Maalox Texas blues », « Sentiments numériques revisités », « Retour vers la lune noire », « Méthode de dissection du pigeon à zone-la-ville », « Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable », « Parano-safari en ego-trip-transit ou comment plumer son ange gardien », « Confessions d’un never been », « Loin des temples en marbre de lune ». Autant de jolies « acrobaties verbales » qui mettent les correcteurs d’orthographe au bord de l’extinction ! A quel titre revient ma préférence ? Peut-être à « Exil sur planète fantôme ». J’aime aussi beaucoup « Taxiphonant d’un pack de Kro ». Rien qu’en lisant les titres des chansons de Thiéfaine, on pressent un univers à part, le truc pas commun qui va vous coller dans les tympans toute une ambiance. C’est de la poésie pure qui vous dégringole dessus !
22:45 | Lien permanent | Commentaires (2)
"113ème cigarette sans dormir" ou "cette indigestion de l'âme qui s'appelle l'insomnie"
Voici ce que Cioran écrit dans la préface de son livre Sur les cimes du désespoir :
« J’ai écrit ce livre en 1933 à l’âge de 22 ans dans une ville que j’aimais, Sibiu, en Transylvanie. J’avais terminé mes études et, pour tromper mes parents, mais aussi pour me tromper moi-même, je fis semblant de travailler à une thèse. Je dois avouer que le jargon philosophique flattait ma vanité et me faisait mépriser quiconque usait du langage normal. A tout cela un bouleversement intérieur vint mettre un terme et ruiner par là même tous mes projets.Le phénomène capital, le désastre par excellence est la veille ininterrompue, ce néant sans trêve. Pendant des heures et des heures je me promenais la nuit dans des rues vides ou, parfois, dans celles que hantaient des solitaires professionnelles, compagnes idéales dans les instants de suprême désarroi. L’insomnie est une lucidité vertigineuse qui convertirait le paradis en lieu de torture. Tout est préférable à cet éveil permanent, à cette absence criminelle de l’oubli. C’est pendant ces nuits infernales que j’ai compris l’inanité de la philosophie. Les heures de veille sont au fond un interminable rejet de la pensée par la pensée, c’est la conscience exaspérée par elle-même, une déclaration de guerre, un ultimatum infernal de l’esprit à lui-même. La marche, elle, vous empêche de tourner et retourner des interrogations sans réponse, alors qu’au lit on remâche l’insoluble jusqu’au vertige.
Voilà dans quel état d’esprit j’ai conçu ce livre, qui a été pour moi une sorte de libération, d’explosion salutaire. Si je ne l’avais pas écrit, j’aurais sûrement mis un terme à mes nuits ».
Plus loin, dans le livre, on trouve ce passage déchirant :
« L’homme, animal insomniaque »
« Quelqu’un a dit que le sommeil équivaut à l’espérance : admirable intuition de l’importance effrayante du sommeil – et tout autant de l’insomnie ! Celle-ci représente une réalité si colossale que je me demande si l’homme ne serait pas un animal inapte au sommeil. Pourquoi le qualifier d’animal raisonnable alors qu’on peut trouver, en certaines bêtes, autant de raison qu’on veut ? En revanche, il n’existe pas, dans tout le règne animal, d’autre bête qui veuille dormir sans le pouvoir. Le sommeil fait oublier le drame de la vie, ses complications, ses obsessions ; chaque éveil est un recommencement et un nouvel espoir. La vie conserve ainsi une agréable discontinuité, qui donne l’impression d’une régénération permanente. Les insomnies engendrent, au contraire, le sentiment de l’agonie, une tristesse incurable, le désespoir. Pour l’homme en pleine santé – à savoir l’animal – il est futile de s’interroger sur l’insomnie : il ignore l’existence d’individus qui donneraient tout pour un assoupissement, des hantés du lit qui satisferaient un royaume pour retrouver l’inconscience que la terrifiante lucidité des veilles leur a brutalement ravie. Le lien est indissoluble entre l’insomnie et le désespoir. Je crois bien que la perte totale de l’espérance ne se conçoit pas sans le concours de l’insomnie. Le paradis et l’enfer ne présentent d’autre différence que celle-ci : on peut dormir, au paradis, tout son saoul ; en enfer, on ne dort jamais. Dieu ne punit-il pas l’homme en lui ôtant le sommeil pour lui donner la connaissance ? N’est-ce pas le châtiment le plus terrible que d’être interdit de sommeil ? Impossible d’aimer la vie quand on ne peut dormir. Les fous souffrent fréquemment d’insomnies, d’où leurs effroyables dépressions, leur dégoût de la vie et leur penchant au suicide. Or, cette sensation de s’enfoncer, tel un scaphandrier du néant, dans les profondeurs – sensation propre aux veilles hallucinées – ne relève-t-elle pas d’une forme de folie ? Ceux qui se suicident en se jetant à l’eau ou en se précipitant dans le vide agissent sous une impulsion aveugle, follement attirés par l’abîme. Ceux que de tels vertiges n’ont jamais saisis ne sauraient comprendre l’irrésistible fascination du néant qui pousse certains au renoncement suprême ».
22:20 | Lien permanent | Commentaires (0)
22/05/2006
22 mai
Réponse :
22 mai
22 mai 1968
Trois heures de l'après-midi
Le printemps qui refleurit
Fait transpirer le macadam
Sur l'autoroute de l'Ouest
Un séminariste à moto
J'ai bien dit à moto
Roule à toute allure vers un point non défini
Sur le porte-bagages
Le Saint-esprit qui jusque-là
Était resté bien sagement assis
Se coince soudain l'aile gauche
Dans les rayons de la roue arrière
Ah ! Ah ! Ah ! (3fois)
Le séminariste perd le contrôle de sa motocyclette
Et vient percuter de plein fouet
Un pylône garé en stationnement illicite
Sur le bas-côté de l'autoroute
A ce même moment un Chinois de Hambourg
Déguisé en touriste américain
Au volant d'un cabriolet de vingt-deux chevaux
Immatriculé en Espagne
Se dit qu'il lui faut porter secours à ce séminariste
Mais bientôt cette idée lui paraît ridicule
Étant donné :
Petit a) : qu'il ne roule pas sur la même autoroute
Petit b) : qu'il n'est pas au courant de cet accident
Et ce fut sans doute l'événement le plus important de ce mois de mai !
Paroles et musique : Hubert-Félix THIEFAINE
00:25 | Lien permanent | Commentaires (4)
19/05/2006
Droïde song
Droïde équalisé sans désir ni chaleur
avec mes sentiments sur microprocesseurs
parfois dans le silence obscur de mon hangar
je déchausse mes circuits et débranche mon sonar
bouillie d'étoiles fondues sur mes lèvres-plasma
de gargouille irradiée revenant du magma
quand j'ai besoin d'amour ou de fraternité
j'vais voir Caïn cherchant Abel pour le plomber
Dans l'odeur des cités aux voiles d'hydrocarbure
les rires sont des ratures qui s'attirent et saturent
et j'y traîne en réglant ma radio-chimpanzé
sur fréquence et mépris point zéro nullité
cosmonaute du trottoir, éboueur en transfert
je peins mes hiéroglyphes sur les murs des waters
avant de m'enfoncer plus loin dans les égouts
pour voir si l'océan se trouve toujours au bout
droïde droïde
machine humanoïde
aux chromosomes hybrides
droïde droïde
carlingue anthropoïde
coeur en celluloïd
droïde droïde
regard polaroïd
schizoïde et bifide
droïde droïde
rêvant d'astéroïdes
acides et translucides
libres
attirées par le vide
Le jour où les terriens prendront figure humaine
j'enlèv'rai ma cagoule pour entrer dans l'arène
et je viendrai troubler de mon cri distordu
les chants d'espoir qui bavent aux lèvres des statues.
Paroles : Hubert-Félix THIEFAINE
Musique : Hubert-Félix THIEFAINE et Claude MAIRET
22:12 | Lien permanent | Commentaires (5)