24/10/2009
Méthode de dissection : "Le bonheur de la tentation"
La pensée du jour : "Recommencer, revivre, être un autre fut la grande tentation de mon existence. Je lisais, au dos de mes bouquins : "...plusieurs vies bien remplies... aviateur, diplomate, écrivain...". Rien, zéro, des brindilles au vent, et le goût de l'absolu aux lèvres". Romain GARY, le grand, l'unique !
Bon, alors, maintenant que je suis en vacances et que j'ai relooké ce blog, je vais peut-être balancer quelques notes dessus ! Mais, je vous en prie, ne me laissez pas seule, « me laissez pas dans le noir avant la fin de l'histoire », pondez, pondez des commentaires par milliers, par myriades, c'est ce qui fait l'intérêt d'un blog !
« Le bonheur de la tentation », donc. Cet album est comme l'écho du précédent. D'ailleurs, c'est voulu jusque dans les titres : sur « la tentation », on trouve « la philosophie du chaos », ici ce sera « le chaos de la philosophie ». Sur les « 24 heures dans la nuit d'un faune » vient se superposer « 27ème heure : suite faunesque ». « Eurydice nonante sept » vient compléter « Orphée nonante huit ». Deux albums-ricochets, donc. Qui causent entre eux, qui s'interpellent, qui se répondent.
Le livret s'ouvre sur ces mots latins : « et ne nos inducas in tentationem sed libera nos a malo ». Proverbe néocrétacé, est-il précisé en-dessous. Bizarre quand même : « ne nous soumets pas à la tentation », mais en même temps, la tentation, quel bonheur ! Après tout, la contradiction n'est qu'apparente. C'est encore et toujours au « rayon des fruits défendus » qu'on fait les plus belles emplettes !
« Retour vers la lune noire » est le premier morceau du CD. Je l'aime bien, celle-là. Les choeurs, la musique, le rythme, tout.
Puis, « la ballade d'Abdallah Geronimo Cohen » vient également enchanter nos esgourdes. Et nous rappeler à juste titre que nous sommes tous des êtres qui ont ce que les Allemands appellent un « Migrationshintergrund » :
« Abdallah Geronimo Cohen
était né d'un croisement sur une vieille banquette Citroën
de Gwendolyn von Strudel Hitachi Dupond Levy Tchang
et d'Zorba Johny Strogonof Garcia M'Golo M'Golo Lang
tous deux de race humaine
de nationalité terrienne ».
La troisième chanson est plus calme. Le violoncelle vient lui apporter une couleur toute particulière. Que j'aime bien. Thiéfaine, une fois de plus, taquine l'oxymore : « ses blancs corbeaux », « mes noires étendues de neige ».
Puis, c'est de nouveau du rythme. Celui d'une ambulance qui transporte un voyageur vers la destination finale dont on ne revient pas. « Adrénaline au point zéro
et silence au stétho »... Superbe texte, musique entraînante : ce rythme, c'est sans doute ce qu'il fallait pour un thème aussi grave... Je ne peux plus écouter cette chanson sans penser à ma mère, seule, misérablement abandonnée dans l'ambulance qui la conduisit vers son dernier voyage... Excusez-moi, mais je suis d'une humeur toussaintesque parfois. Souvent...
Ensuite, c'est « Dans quel état terre ». J'aime bien le message, évidemment, mais la chanson, paroles, musique, bref l'ensemble me plaît moyennement.
En revanche, « Bouton de rose » me parle tout de suite davantage. J'aime les sonorités du texte : « dans le satin d'essences assassines », par exemple. Et j'aime citer souvent cette jolie maxime : « Mais le jour s'lève pas toujours au milieu des dentelles »... Une chanson que j'aimerais entendre sur scène un jour, tiens ! Qui fait passer le message à Hubert ?!
« 27ème heure suite faunesque », alors là, je vais en décevoir plus d'un, mais voilà une chanson que je n'ai écoutée que trois fois en entier. Pas plus, je pense. Je ne l'aime pas. Je reconnais que le texte recèle quelques perles, mais je ne sais pas, la musique ne me plaît pas. Et je vais dire une hérésie : cette chanson est trop longue à mon goût !!!!!!!!!!
« Eurydice nonante sept » (d'ailleurs, pourquoi nonante sept ici et nonante huit sur « la tentation du bonheur » ?!) est une chanson sympa. Que j'écoute avec plaisir. Mais qui ne fait pas partie de mes préférées sur cet album . Non. « Le chaos de la philosophie » : idem. Cela s'écoute, c'est sympa, mais ... Mais ma préférence, mon immense, mon indéfectible préférence va au morceau qui suit « Le chaos de la philosophie », à savoir : « Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable ». Magique, grandiose, unique. Du début jusqu'à la fin. Rien ne nous est épargné. Ni la longue et effroyable énumération de MST qui guettent ceux qui mènent une vie sexuelle vagabonde et dissolue, ni le terrible et froid jugement qui s'abat sur nos ancêtres : « dans un pays où les indigènes pendant l'occupation allemande écrivirent un si grand nombre de lettres de dénonciation que les nazis les plus compétents et les mieux expérimentés en matière de cruauté et de crimes contre l'humanité en furent stupéfaits et même un peu jaloux ». Thiéfaine se sent une « gueule à être dénoncé ». Et, désabusé, n'attendant plus rien du genre humain, il garde ses « lunettes noires de vagabond solitaire ». Tout autour, presque tout le monde a choisi de chausser ses lunettes roses et de se livrer à toutes sortes de « pitreries masturbatoires ». Pas Thiéfaine. Il « regarde passer les zumains de sa rue un peu comme on reluque au zoo les zébus ». Ne se sent pas d'ici. Un peu à la manière de Ferré : « Je suis d'un autre pays que le vôtre, d'un autre quartier, d'une autre solitude »...
Morceau sublime, vraiment ! Je pourrais écrire des pages et des pages sur cette chanson ! Mais tout est dit dans le texte, écoutez-le encore et toujours. Inlassablement.
Le tout s'achève sur le « Final Abdallah ». Retour à la douceur, à l'enfance. Mais quand même : « Und meine letzte Tentation ist noch für deine Hose »... C'est vraiment de Marx, ça ?!
Ah quand même, n'oublions pas le petit truc qui me tient à coeur, à savoir les références faites à l'Allemagne sur cet album. Bon, bien sûr, il y a Hitler (« dans quel état terre ») et les nazis (« Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable »). Mais il y a aussi et surtout les « Nibelungen », dont je devrais peut-être vous parler ici un jour.
Zut, je m'aperçois que dans mes exercices de dissection, j'ai parfois négligé cette question des références à l'Allemagne. Pas bien ! A recommencer ! Très vite !
21:46 | Lien permanent | Commentaires (13)
11/10/2009
Petite info
Merci à Elsa, qui m'a envoyé un lien extrêmement intéressant :
http://www.rdm-video.fr/A000455973/CD_la_collection_78_88.html
Chouette, on peut commencer à se réjouir ! Vivement 2010 !
20:50 | Lien permanent | Commentaires (10)
30/09/2009
Alors voilà...
Alors voilà, ça commencerait à peu près comme ça. Et je ne saurais pas très bien où ça mène. Je me laisserais porter par l'écriture, sans savoir d'avance ce qu'elle a à me faire dire, cracher, vomir. Et cela donnerait le résultat que ça donnerait, tant pis, je ne pourrais pas faire mieux de toute façon, j'ai beau retourner le machin dans tous les sens. Depuis le temps que je veux écrire un petit bidule sur Thiéfaine, si cela avait dû être révolutionnaire, le truc qui offre réellement un nouvel éclairage sur l'oeuvre du poète aux mille tourments, ça se saurait... Alors voilà, cela ne serait que ça :
« Lunettes noires, pyjama rayé ». Ainsi paré, Thiéfaine, se définissant lui-même « de nature solitaire », erre ici-bas. Les lunettes noires (« de vagabond solitaire », serait-on tenté d'ajouter, au regard de la chanson « Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable »), les lunettes noires, c'est pour mieux toiser ses contemporains. L'artiste « regarde passer les zumains de sa rue un peu comme on reluque au zoo les zébus ». Il s'amuse de ce spectacle. S'en afflige aussi parfois. Souvent. Lunettes noires, donc. Et pas roses. Parce que la réalité ne l'est pas non plus. Le pyjama rayé, c'est la tenue des prisonniers. Cette expression de prime abord assez banale ne renfermerait-elle pas à elle seule tout ce qui caractérise l'univers de Thiéfaine ? Le pessimisme grinçant, foncier. Le sentiment d'être prisonnier d'une condition jamais réellement désirée. Au commencement était l'hésitation. « Should I stay or should I go ? ». Je reste ou je ne reste pas ? « J'ai failli me tirer mais j'ai fait bof areuh, j'suis qu'un intérimaire dans la continuité de l'espèce et coucou beuh, coucou beuh », chante le poète dans « 542 lunes et 7 jours environ ». Naissance-naufrage. Seule la figure maternelle demeure rassurante, comme un phare dans la nuit. Il est question du « garage intime d'une fleur sentimentale ». A propos de la naissance de son fils Hugo, Thiéfaine évoquera également un « ventre brûlant de tendresse féminine ». Et pourtant, la naissance apparaît avant tout comme le traumatisme premier, dont la mort serait l'inéluctable, l'effroyable pendant :
« Le jour de ma naissance un éléphant est mort et depuis ce jour-là je le porte à mon cou ». Tristes vies que les nôtres, toutes autant qu'elles sont !
« Nous sommes les naufragés dans cet avion-taxi
avec nos yeux perdus vers d'autres galaxies
nous rêvons d'ascenseurs au bout d'un arc-en-ciel
où nos cerveaux malades sortiraient du sommeil ».
Pour tous, la facture sera salée. « Nous ne sommes que les fantasmes fous d'un computer ». Les pâles pantins dont on ne sait quel fox à poil dur tout-puissant agite sournoisement les ficelles. Frêles marionnettes que le même fox à poil dur tout-puissant malmène, mène à la baguette et par le bout du nez. Décidément, « Dieu est un drôle de mec » ! « Oui mais on l'aime quand même », ajoute Thiéfaine. Peut-être, mais si notre poète jurassien était Dieu, il ne croirait pas en lui. Alors, que croire ? Et en qui ?!
Au fil des mots, Thiéfaine nous donne à voir une parcelle de son âme. Et c'est comme qui dirait un joyeux bordel là-dedans ! Une âme volée à un clown, vous pensez !
Place aux « grondements de bête » et aux « hurlements furieux ». Place à la révolte, place à une oeuvre magnifique, surprenante et foisonnante qui est aussi un cri...
21:31 | Lien permanent | Commentaires (8)
27/09/2009
"Sur les écrans secrets de ton Pandémonium"...
La pensée du jour : "S'il est vrai que dans la famille on n'est pas du genre à faire de l'ambition, pour peu qu'on la taquine un peu, l'immodestie nous vient à nous comme à tout le monde". Serge JONCOUR (Vu).
Aujourd'hui, petites explications concernant d'abord le Pandémonium, dont il est question dans "Sentiments numériques revisités", puis l'Ankou (cf. "Psychopompes / métempsychose et sportswear" : "et quand le Pinocchio baveux poussera ma brouette à l'Ankou j'veux faire des bulles avec mon noeud pour éloigner les loups-garous"). Je cite Wikipédia, pour aller plus vite. Désolée, je manque de temps. Gros problème car, du coup, je n'alimente plus guère ce blog que j'aime tant pourtant... Mais... Bientôt... Bientôt, je vous mettrai ici quelques lignes d'un bouquin que je m'amuse à écrire sur l'oeuvre de Thiéfaine. Des conneries qui ne valent pas tripette, mais ça occupe les soirs d'automne...
« Pandémonium » est un mot apparu en 1663 sous la plume de l'Anglais John Milton dans Le paradis perdu. « Pandémonium » désigne la capitale des Enfers où Satan invoque le conseil des démons. Depuis, ce mot est également utilisé pour désigner un lieu où règnent corruption, chaos et désordre.
« L'Ankou » : personnage revenant souvent dans la tradition orale et les contes bretons. L'Ankou est la personnification de la mort en Basse-Bretagne. Il ne représente pas la mort elle-même, mais son serviteur : son rôle est de collecter dans sa charrette grinçante les âmes des défunts récents. Lorsqu'un vivant entend le bruit de la charrette, c'est qu'il (ou, selon une autre version, quelqu'un de son entourage) ne va pas tarder à passer de vie à trépas. On dit aussi que celui qui aperçoit l'Ankou meurt dans l'année.
Moi, quand j'étais môme, à douze ans je crois, j'ai lu La légende de la Mort, d'Anatole Le Braz (à douze ans ! faut-il être bête !), La légende de la Mort où il est évidemment beaucoup question de l'Ankou. Et je flippais, et j'en redemandais tout à la fois !!
11:23 | Lien permanent | Commentaires (6)
11/09/2009
Méthode de dissection : "La tentation du bonheur" (suite et fin)
La pensée du jour : "Dieu existe, je l'ai toujours trahi". Françoise Verny
Je reprends cette dissection là où je l'avais laissée. Place à « Sentiments numériques revisités ». Le titre me semble être un rappel de « Mathématiques souterraines ». « Sentiments numériques », « mathématiques », n'y a-t-il pas un lien ? Un bijou, cette chanson ! Une déclaration d'amour dans laquelle Thiéfaine, en avouant son sentiment d'impuissance (« plus de mots assez durs pour te dire que je t'aime »), hurle du même coup la profondeur de ses sentiments. L'amour qu'il éprouve est tellement fort qu'il ne saurait être dit... Grande réussite que cette chanson, tant sur le plan musical que poétique (et l'on appréciera le rythme incroyable des mots, les allitérations, les trouvailles - « quand les cris de l'amour croisent les crocs de la haine dans l'encyclopédie des clameurs souterraines », et tant d'autres).
La suite est une chanson que Thiéfaine qualifierait sans doute lui-même de « récréative ». Il est question de bibine et je pense à Téléfoot de Renaud ! Cette fois, ce n'est pas le sport qui prend dangereusement possession du téléspectateur. Non, ce sont les « feux de l'amour », le truc qui tue ! Je ne sais même pas si ça passe encore à la télé, ce machin-là ! Bref... Voilà en tout cas une chanson que je trouve marrante, mais qui ne fait pas partie de mes préférées, loin de là !! Je ne sais pas qui est monsieur Mojo, je constate simplement qu'il est né la même année que Thiéfaine et qu'il mourra en 2023 ... et des poussières !
« Copyright apéro mundi » est selon moi du même tonneau (c'est bien le cas de le dire). Un thème pas forcément sérieux pour une chanson qui se laisse écouter sans susciter de grands remous métaphysiques, mais pourquoi pas ?
« Psychopompes / métempsychose et sportswear » fait partie de mes chansons préférées sur cet album. La musique entraînante, le texte qui atteint des sommets par moments (« à r'garder passer les linceuls
dans la rue aux spectres visqueux
j'sais plus si c'est moi qui suis seul
ou les aut'qui sont trop nombreux »), tout contribue à faire de ce morceau un petit joyau.
La suite va carrément flirter avec le sublime. Pour moi, « Des adieux » est une des plus belles chansons de Thiéfaine. « Et les noires sentinelles drapées dans leurs guérites
n'ont plus besoin d'antennes-paraboles-satellites
pour capter le chagrin à son extrême limite
des adieux »...
« Déjà le vieux veilleur mélancolique nous guette
annonçant des avis d'orage et de tempête », tout est dit.
Ensuite, c'est « La philosophie du chaos », encore une chanson plutôt récréative ... à laquelle viendra répondre, en écho, « Le chaos de la philosophie » sur l'album « Le bonheur de la tentation ».
Le tout s'achève sur « La nostalgie de Dieu », une chanson interprétée par le choeur Octava alta. On reste quand même dans la déconnade, malgré le sérieux du titre. « Hosanna dirladada », voilà qui montre bien dans quel registre on évolue une fois de plus !
Voilà en ce qui concerne cet album. Je reviendrai encore sur deux ou trois bricoles (Pandémonium, l'Ankou, etc.), puis je passerai au « bonheur de la tentation ».
21:18 | Lien permanent | Commentaires (4)
04/09/2009
Entre deux tentations...
La pensée du jour : "Prière du matin. Seigneur, place sur mon chemin un grand amour qui illumine et saccage ma vie !" Michel TOURNIER, Petites proses (un de mes livres de chevet).
Petite parenthèse avant de parler des autres chansons de l'album « La tentation du bonheur ». Envie d'évoquer quelques points importants :
Grâce à « La tentation du bonheur », j'ai appris ce qu'était un « deus ex machina » (cf. « La nostalgie de Dieu ») : Cette expression est invariable, de genre masculin et, comme sa forme l'indique, composée de mots latins. Littéralement, un deus ex machina, c'est un dieu descendu au moyen d'une machine. Définition du Petit Larousse : personne ou événement venant opportunément dénouer une situation dramatique sans issue, notamment au théâtre.
Quant au curé d'Ars (évoqué dans « 24 heures dans la nuit d'un faune »), il s'appelait Jean-Marie Vianney. Il est né à Dardilly, près de Lyon, en 1786, il est mort à Ars-sur-Formans en 1859. Il fut le curé d'Ars durant 41 ans et attira les foules par sa sainteté. On connaît son visage, souvent représenté :
Bételgeuse (« Critique du chapitre 3 ») est une étoile de la Constellation d'Orion.
15:22 | Lien permanent | Commentaires (10)
29/08/2009
Méthode de dissection : La tentation du bonheur
La pensée du jour : "Le désespoir est une forme supérieure de la critique. Pour le moment, nous l'appellerons bonheur". Léo FERRE.
Année de parution : 1996
Titres :
24 heures dans la nuit d'un faune
Critique du chapitre 3
La nostalgie de Dieu
Orphée nonante huit
Tita dong-dong song
Sentiments numériques revisités
Mojo – dépanneur tv (1948-2023)
Copyright apéro mundi
Psychopompes / métempsychose du sportswear
Des adieux ... / ...
La philosophie du chaos
Une pochette sobre pour cet album. Devant, on voit Thiéfaine, tout de blanc vêtu. L'attitude est rêveuse, les traits de l'artiste plutôt reposés. Derrière, le voilà vêtu de noir, debout, appuyé contre un mur. A l'intérieur du livret, on découvre de jolis clichés : Thiéfaine avec sa guitare, souvenir de l'enregistrement des cordes à Abbey Road, Hugo et Lucas, quelques feuilles noircies de l'écriture de Thiéfaine, etc.
Le livret s'ouvre sur ces mots puissants de Ferré : « Le bonheur ça n'est pas grand-chose... c'est du chagrin qui se repose ». Histoire de bien rappeler que le bonheur, s'il daigne parfois visiter nos vies, n'est qu'un pont fragile entre deux abîmes... D'emblée, on sait que l'optimisme n'est toujours pas, malgré le titre, du monde de Thiéfaine...
De toute façon, la première chanson (« 24 heures dans la nuit d'un faune », et l'on songe à « L'après-midi d'un faune », poème de Mallarmé qui fut mis en musique par Debussy), la première chanson, donc, malgré la musique plutôt enjouée, n'est pas fondamentalement gaie ! Thiéfaine se demande, dans un premier temps, si les morts s'amusent autant que les vivants, puis, à la fin, la question dérive vers une interrogation plus grave : les morts s'ennuient-ils autant que les vivants ? Les morts se sentent-ils aussi seuls que les vivants ?
Vient ensuite la critique du chapitre 3. Vous connaissez tous ce texte du livre de l'Ecclésiaste dans lequel il est dit, en substance, qu'il y a un temps pour tout (j'ai déjà mis ce texte ici, il y a longtemps). Notamment, comme le rappelle l'exergue, « un temps pour aimer et un temps pour haïr, un temps de guerre et un temps de paix ». Au court temps d'amour, Thiéfaine oppose celui, bien plus long, de la haine... « Pour un temps d'amour, tant de haine en retour ». Une grande chanson, une sorte de prolongement de « Crépuscule-transfert ». Ainsi l'allusion aux ruines de Bosnie, ainsi ces mots : « Qu'est-ce que la planète terre
dans l'oeil d'un rat maudit ? », mots qui en rappellent étrangement d'autres : « A quoi peut ressembler ton spleen, ton désespoir et ton chagrin
Vus d'une des étoiles anonymes
de la constellation du chien ».
Une chanson lourde de colère, de tristesse, une de mes préférées sur cet album.
Ensuite, « La nostalgie de Dieu » nous répète inlassablement que Dieu est amour. Mais ici, l'amour n'est pas un sentiment noble, non, c'est d'amour physique qu'il est question : « God is sex machine » (on appréciera le glissement de « deus ex machina » vers « deus sex machine » !!). « God gode ! » Thiéfaine joue sur les mots et se laisse entraîner dans une jubilatoire série de blasphèmes en tous genres : « Dieu est un drôle de mec », « Jésus change le beurre en vaseline » !!!
« Orphée nonante huit » (et ce titre, le nom d'un personnage de la mythologie grecque associé à un nombre, n'est pas sans rappeler, à mon avis, Amphitryon 38, de Giraudoux) est la quatrième chanson de l'album. Je me souviens de Thiéfaine présentant ce morceau en concert : « Ce con d'Orphée n'a pas pu s'empêcher de se retourner », dira-t-il (ou un truc dans le genre !) Belle mélodie, belles paroles. Une chanson qui se boit comme du petit-lait, tranquille.
Puis, c'est « Tita dong-dong song », dont le refrain est constitué en grande partie d'amusantes onomatopées empruntées à Lucas. Après les paroles de la chanson, dans le livret, on trouve un « Tita dong-dong song glossaire » ! Une chanson dont la musique est terriblement empreinte de mélancolie...
« Moi j'écoute ton sommeil
et j'étudie tes rêves
et je n'suis plus pareil
quand le soleil se lève »... Conclusion puissante de ce grand cri d'amour !
La suite pour bientôt...
12:29 | Lien permanent | Commentaires (7)
29/07/2009
"Fragments d'hébétude" : suite
La pensée du jour : "Mais l'homme a besoin aussi de confort spirituel. La beauté est la charpente de son âme. Sans elle, demain, il se suicidera dans les palais de sa vie automatique". Jean GIONO.
Je reprends les choses là où je les ai laissées. Mille excuses, je devais revenir le 23 juillet, et j'ai six jours de retard !! Il faut dire que j'ai passé quelques soirées de cette semaine à écrire sur les thèmes récurrents dans l'oeuvre de Thiéfaine. Comme ça, un truc pour moi, que je ne mettrai pas sur le blog. Et qui, sans doute, restera en plan, comme pas mal de choses que j'entreprends et qui n'aboutissent pas, faute de temps, et de je ne sais quoi d'autre... Ce n'est pas la motivation qui manque non plus, mais parfois, l'inspiration (vaste mot !) se tire. D'où l'intérêt de faire des réunions où on cause HFT. Cela oblige à aller jusqu'au bout de ses projets d'écriture... Bref...
Revenons-en à « Fragments d'hébétude », un album qui m'est cher. La tournée « Fragments », ce fut pour moi l'occasion d'aller voir Thiéfaine pour la première fois. Avec ma mère, dont les certitudes furent quelque peu ébranlées ce soir-là. Comment ? Sa fille, d'ordinaire si sérieuse, d'apparence en tout cas, écoutait ça ? Ces textes par moments licencieux ? Ces chansons qui parlaient de joints et compagnie ?! « Mais maman, moi, je ne fume pas. Mon joint, c'est Thiéfaine, combien de fois faudra-t-il que je te le dise ?! ». Je pense quand même que, voyant la foule haute en couleur (et en odeurs !) qui s'était déplacée ce soir-là, ma mère avait eu les chocottes. Mais bon, elle était contente malgré tout : Thiéfaine avait chanté « Animal en quarantaine », « Je t'en remets au vent » et quelques autres titres qu'elle affectionnait tout particulièrement. Quant à moi, j'étais sortie tout simplement éblouie, ébahie, de la salle de concert. Mais c'est une autre histoire.
« Fragments d'hébétude », donc. Les acrobaties verbales que j'aime le plus sur cet album sont :
« A quoi peut ressembler ton spleen
ton désespoir et ton chagrin
vus d'une des étoiles anonymes
de la constellation du chien ? »
« Peu à peu je vois s'estomper
les rêves de mon esprit tordu
je commence même à oublier
les choses que je n'ai jamais sues
peut-être eussé-je dû frapper plus
et me lever tôt le matin
peut-être encore eût-il fallusse
baby que je buvasse un peu moins ».
« T'as momifié ton coeur / tatoué ton numéro
bancaire sur les parois internes de ton crâne ».
« Oh ! Le vent se lève
au large des galaxies
et je dérêve
dérive à l'infini ».
Très beau, le verbe « dérêver » qui vient se coller juste derrière « dériver ». Belle trouvaille !
« La terre tremble
et tu t'essuies la bouche ».
« Tu titubes au milieu des flammes
de l'enfer d'où renaît la phénix
soldant les débris de ton âme
sous une Mustang Ford 66 ».
« Comme un arbre mort
au milieu du désert
juste une valse noire
dans le silence des pierres ».
Je note à propos de cette chanson que j'ai l'impression qu'il s'agit d'une évocation d'un passé pas tout à fait digéré. Allusion à l'univers de la drogue aussi, non ?
« Souvenir éphémère
beauté blême et transfert
dans tes jardins d'Eden
solitude transparente
de ces longs jours d'attente
à te fixer les veines ».
« Terrien, t'es rien »... Et c'est sur ces mots magiques que nous allons nous quitter ce soir, comme dirait Hubert !!
23:36 | Lien permanent | Commentaires (22)