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25/11/2010

"A contempler la noïlle dans les yeux des passants"...

La pensée du jour : "Le téléphone, encore. Ce matin quelqu'un m'appelle, quelqu'un qui me parle de lectures, je ne comprends pas bien, j'écoute, je laisse aller et d'un seul coup je me dis qu'il faut abréger cette conversation, que tu risques de m'appeler comme tu le fais, n'importe quand, pour me demander n'importe quoi, je ne voudrais surtout pas que tu te heurtes au refus de la sonnerie, très vite je raccroche et il me faut encore quelques secondes pour comprendre que tu es morte et que tu ne m'appelleras plus". Christian BOBIN.

 

 

Aujourd'hui, j'ai un invité de marque sur mon blog : Yannig ! Il poste ici parfois des commentaires (toujours très intéressants). Suite à la question d'Hervé concernant le mot "noïlle", il a fait des recherches et nous les a livrées sur Facebook. Il m'a donné l'autorisation de faire un copier-coller pour mon Cabaret. Voici donc...

 

 

Notes sur le mot « Noille », ou variations sur un Nocturne de Thiéfaine

 

            Suite à la question d’Hervé sur le sens du mot « Noille » dans Cabaret Sainte Lilith, j’ai eu envie de me pencher un peu sur ce mot, ne me contentant pas du lien d’Arnaud qui donne une réponse certes juste, mais qui me laisse un peu sur ma faim.

            Si le ...sens du mot (Noille = Nuit, en argot) ne pose pas problème, j’ai eu envie d’en savoir un peu plus… même si je n’ai pas trouvé toute les réponses que je cherchais.

 

            Pour m’amuser, j’ai décidé de ne pas utiliser l’internet pour mes recherches… et de me contenter des dictionnaires que j’ai sous la main. Les dicos virtuels, c’est sympa, mais y’a des tas de lexicographes, passionnés et acharnés, qui font un travail énorme et remarquable, donc j’achète leurs bouquins parce qu’il faut bien qu’ils bouffent… et vu le volume des dicos, ça fait aussi travailler les fabricants de meubles. Etant socialement improductif, il faut bien que je participe d’une manière ou d’une autre à l’économie de ce pays, non ?

            Bref, première remarque, le mot Noille est absent de tous les dictionnaires généralistes, du moins ceux que j’ai ouverts, quelle que soit leur taille ou leur époque. (J’aurais bien aimé jeter un œil au Grand Robert, mais je ne me le suis pas encore offert, celui-là). Le mot est donc exclusivement argotique… puisqu’il semble refuser de déborder hors du cadre de l’argot.

 

            On le trouve néanmoins dans les bons dictionnaires de synonymes, et dans les bons dictionnaires de rimes. (Pour ma part j’utilise pour les synonymes celui d’Henri Berthaud du Chazaud chez Gallimard, collection Quarto, et pour les rimes celui d’Armel Louis, chez Le Robert, collection Les usuels, c’est ce qu’on fait de mieux dans ces domaines).

 

            Du côté des spécialistes, il y a ceux qui font l’impasse sur le terme : Dictionnaire d’argot (de jules Vallès) ; L’argot chez les vrais de vrai (d’Auguste Le Breton) ; Le guide du français familier (de Claude Duneton).

 

            Viennent ceux qui font dans le court, bref et concis, ça m’avance guère plus, même si c’est suffisant pour comprendre le terme.

            Le dictionnaire argotique des trucs, des bidules et des machins, de Robert Gordienne me donne : Noille ou Noye n.f. – Désigne la nuit.

            A peine mieux pour le dictionnaire du français argotique et populaire de François Caradec qui me donne certes une forme de plus (Neuille), mais qui est tout aussi laconique : Noille, Noye ou Neuille n.f. Nuit.

            (À noter qu’une nouvelle édition revue et corrigée de cet ouvrage est parue en 2009, cette fois-ci cosigné par F.Caradec et J.-B.Pouy, n’ayant pas cette nouvelle version de l’ouvrage, j’ignore ce qu’il y a dedans à l’entrée « Noille », cette précision n’étant là que pour le plaisir d’évoquer Jean-Bernard Pouy qui est un écrivain que j’aime beaucoup)

 

            Je sors mes dernières cartouches ? Pour commencer, un ouvrage que j’aime bien, quoiqu’un peu daté et qui mériterait une réactualisation, mais dans lequel je puise toujours avec plaisir au breuvage des mots. Ecrit par Jacques Cellard et Alain Rey (j’aime beaucoup ce dernier), il s’agit du dictionnaire du français non conventionnel.

            Noïe, n.f. (noye) : Nuit.

            (Avant d’aller plus loin, je précise qu’avant le mot Nuit, il y a un petit sigle qui signifie que le mot est absent du français conventionnel, mais on l’avait remarqué par sa brillante absence dans les dictionnaires généralistes, à noter l’absence ici de la forme Noille qu’emploie Thiéfaine.)

            Suit deux citations, et enfin quelques infos sur le mot, et une dernière citation :

-         Toi, gras du ventre, dit Fouillard à Bouffioux, tu coucheras là-haut, dans la soupente. Comme j’couche juste en dessous, tu feras attention de n’pas m’tomber dessus au milieu d’la noïe, les souliers sur la gueule, j’ai l’sommeil léger. (R.Dorgelès, Les Croix de bois, p.14).

-         Comme, pourtant, il faut que je passe la noye quelque part, j’entre dans un bazar, j’achète une petite valise en carton gaufré et je descends dans un modeste hôtel près du Parlement. (San-Antonio, Au suivant de ces Messieurs, p.31).

            Hist. – 1890. A cette forme dialectale de nuit, il convient d’ajouter neuil, neuille, bien attestés.

-         L’autre, tout de suite après, il veut son sucre, la moitié de la neuil, tu l’entends croquer. (A.Boudard, La Cerise, p.117).

 

            Pour finir, je sors Le dictionnaire de l’argot français et de ses origine par Jean-Paul Colin, Jean-Pierre Mével et Christian Leclère (chez Larousse) (Il s’agit d’une réécriture du Dictionnaire historique des argots français de Gaston Esnault, paru chez Larousse en 1965).

            Noille, noïe, noye ou neuille ; n.f ; Nuit.

-         Fréhel crèche chez une copine du côté de Montmartre. Mais pour la noille on lui a découvert une piaule dans le secteur. (J.Yonnet, Rue des maléfices, 1954)

-         Y avait des crouïas qui, pendant la noïe, venaient faucher des matériaux. (M.Grancher)

-         Tu m’as tiré du paje à trois plombes de la noye. (L.Malet, Sueur aux tripes, 1947)

-         Les copains de la neuille / Les frangins de la « nights » / Ceux qu’on l’portefeuille / Plus ou moins « all right ». (L.Ferré, Poètes vos papiers, 1956).

            Synonyme : Sorgue.

            Etymologie : Forme dialectale de nuit. Noille et noïe, 1901 (d’après A.Bruant : L’argot au XXe siècle, dictionnaire français-argot) ; noye, 1947 (in L.Malet, Sueur aux tripes) ; neuille, 1889 (d’après G.Esnault, dictionnaire historique des argots).

 

            Cette fois j’ai fait le tour. Le dernier dictionnaire cité, est à mon avis, Le dictionnaire de référence pour ce qui est de l’argot… et j’aurai très bien pu commencer par celui-là, ce qui m’aurait fait gagner du temps ; sauf que !

            Sauf qu’il me semble que l’absence d’un mot dans un dictionnaire donné est déjà en soit une information sur le mot. Un mot présent dans tous les dictionnaires, ce n’est pas tout à fait pareil qu’un mot présent dans seulement la moitié des dicos, ou dans seulement un ouvrage sur dix ! De même qu’il est parfois intéressant de consulter des dictionnaires de différentes époques, certains mots étant présents dans de tout petits dictionnaires de 1900, et ayant disparu de gros ouvrages de 2000.

 

            Bref, je reviens à notre Noille. C’est amusant, l’autre jour j’évoquais les occurrences du mot Soleil dans l’œuvre d’Hubert… aujourd’hui on passe à son opposé, la nuit… thème réccurent chez Thiéfaine. Chez Ferré aussi d’ailleurs… chez beaucoup d’artistes en fait. Pour ce qui est du mot Noille, on nous dit que c’est une forme dialectale… j’aurai aimé en savoir plus… et en particulier d’où ? et en très particulier, la forme existe-t-elle dans le Jura ? Il serait intéressant de savoir si Hubert puise le terme dans le lexique argotique ou régional, dans la mesure où les réminiscences de ses origines semblent assez rares dans ses œuvres, hormis dans la cancoillotte, mais bon, hein ! La datation du terme est intéressante aussi (grosso modo fin XIXe / début XXe selon les formes), elle montre qu’Hubert puisse son lexique aussi bien dans un argot ancien, (je serais tenté de dire argot classique, ou argot traditionnel), que dans un argot contemporain de celui de l’écriture des chansons (je pense entre autre à la « Go » d’Abdallah, à ce propos, des recherches sur ce dernier mot m’ont réservé quelques surprises…). J’aime beaucoup cette façon qu’a Hubert de puiser dans tout les champs lexicaux : on y trouve des mots argotiques, techniques, didactiques, médicaux, enfantins, courants, marchants, marchands, étrangers, … &c. , et j’aime assez voir ainsi se côtoyer des mots qui n’auraient théoriquement jamais dû se rencontrer, venant de mondes qui s’ignorent…

 

            J’aurais aimé savoir aussi comment s’est fait le glissement de Nuit à Noille/Neuille. Les formes dialectales étant parfois des formes résiduelles de formes françaises plus anciennes, j’ai jeté un œil dans cette direction, mais ce n’est guère probant. La forme Nuit semblant très ancienne. Mon dico de moyen français me donne déjà la forme « Nuit », en concurrence avec la forme « Nuict ». Mon dico d’ancien français me donne aussi la forme « Nuit » en concurrence avec la forme « Noit ». « Noit » se rapprocherai-il de la forme « Noie » qu’on trouve sur le lien d’Arnaud ?

 

            Une dernière remarque, la Noille est absente de « Comment tu tchaches ! Dictionnaire du français contemporain des cités, de Jean-Pierre Goudaillier ». Je précise ceci, car le langage des cités puise dans tous les autres argots (français et étranger), et j’aime bien voir comment parfois certains mots arrivent à survivre en glissant d’un groupe de locuteurs à un autre. Je me demande même si certains mots n’auraient pas été sauvés par les cités ? Mais bon, pas Noille.

 

            Je récapitule les différentes formes trouvées (y compris celles du liens d’Arnaud) : Neuil, Neuille, Noie, Noïe, Noille, Noïlle, Noye. Personnellement, j’utilise neuille.

 

            Pour complément d’information, il existe en argot deux autres vocables pour désigner la nuit.

1)      Sorgue. Une chanson de Léo Ferré s’appelle la sorgue. Un mot que j’aime bien, qui sonne comme une friandise sur la langue, et aux dérivés délicieux : Sorgueur = voleur qui opère la nuit, Sorguage = nuitée d’amour, et Sorgabon = Bonne nuit, verlan de Bon Sorgue.

2)      Borgnio. Et ses variantes : Borgnon, Borgnot, seuls termes argotiques désignant la nuit qui soient masculins. Il existe aussi, au féminin, la variante Borgne.

 

            Ben voilà, avec tout ça, v’là-t’y-pas que la nuit tombe ! Et au passage j’ai appris l’existence du mot Borgnio (et ses variantes), donc dans l’affaire j’suis gagnant !!!

 

            P.S. Borgnio n’a rien à voir avec Borniol.

 

Buenas Noches, Jo… et les autres.

 

 

 

24/11/2010

Chanson n°47 : "Solexine et ganja"

La pensée du jour : "Je me dis que l'amour, qui avait tant tardé à agiter ma vie, était bien la seule réalité céleste d'un univers misérable". Jean-Paul ENTHOVEN.

 

Solexine et ganja

 

je cherche un hélico pour me déconnecter

pour faire sauter les plombs de la boîte à fausse donne

je cherche un hélico quelque part pour me tirer

mais je crois bien que les martiens

m'appellent sur l'interphone

Ganja

 

le blues m'a délatté mais c'est sans importance

quand la bière est tirée il faut finir son pack

le blues m'a délatté et je trinque en silence

je fais de l'auto-combustion tout seul dans mon half-track

Ganja

 

et je traîne dans la galerie en grillant mes traumas

j'en veux à la première qui m'a laissé tomber

et je traîne dans cette galerie où ma mère me chanta

no love today baby my milk is gone away

Ganja

 

j'ai mon compteur qui sonne et mes pieds qui s'enfoncent

j'oublie toujours le nom de ces villes où je suis né

j'ai mon capteur qui sonne et j'ai le cœur qui bronze

j'ai fini par fumer ma carte d'identité

Ganja

 

ma tête a éclaté d'un tour de manigoince

moi je voulais bourlinguer sur cumulo-nimbus

ma tête a éclaté bonjour l'homo sapiens

si t'as peur de te mouiller retourne à ton fœtus

Ganja

 

je suis dans l'atelier de Hieronymus Bosch

avec les yeux drapés de lapis-lazuli

je suis dans cet atelier mais il faut que je décroche

les anges font des cauchemars au fond du paradis

Ganja

 

les sergents recruteurs me demandent au parloir

avec des mégaphones pour compter les élus

les sergents recruteurs me jouent le jour de gloire

mais moi je suis mongolien chromosomes inconnus

Ganja

 

 

 

Il faut quand même que je vous dise que lorsque j'ai découvert cette chanson, il y a maintenant 18 ans, je ne savais pas du tout de quoi il retournait ! "Solexine et ganja", je croyais que c'étaient des personnages importants, russes éventuellement (Solexine, surtout, me faisait sans doute penser à Soljenitsyne, j'imagine !!). En tout cas, j'étais bien loin de me douter que "ganja" était un terme synonyme de "cannabis" !! Quand j'ai enfin pigé, j'ai également compris pourquoi HFT disait, à la fin du concert 88 : "Eh bien, c'est sur ces mots magiques que nous allons nous quitter ce soir" !!! Quant à la solexine, j'imagine qu'on peut en humer les vapeurs, non ?

 

Cliquez sur le lien ci-dessous et vous pourrez entendre la chanson "No milk today", dont HFT a "essoré" et tordu les paroles pour en faire un joli "no love today, my milk is gone away" !!

http://www.youtube.com/watch?v=ClQepFF-Sr0

 

Peut-être pourrais-je aussi consacrer un de ces jours une note à Hieronymus Bosch ?

 

 

23/11/2010

Chanson n°46 : "Rock joyeux"

La pensée du jour : "Eh oui, François. Te voilà en première ligne. Plus personne devant toi pour vieillir avant toi, pour tâter l'eau du pied et te dire si elle est bonne". François CAVANNA

 

Rock joyeux

 

Elle veut plus que son chanteur de rock

vienne la piéger dans son paddock

elle veut plus se taper le traversin

à jouer les femmes de marin

elle s'en va

elle veut plus que son dandy de la zone

vienne la swinguer dans son ozone

elle veut plus d'amour au compte-gouttes

entre deux scènes entre deux routes

elle s'en va

rock rock joyeux

 

elle lui a dit je change de port

mais pauvre débile je t'aime encore

seulement tu vois c'est plus possible

moi aussi je veux être disponible

elle s'en va

elle a juste haussé les épaules

comme si c'était son meilleur rôle

et lui a dit casse-toi de mon ombre

tu fous du soleil sur mes pompes

elle s'en va

rock rock joyeux

 

il en fera peut-être une vieille rengaine

une histoire d'amour à la chaîne

pour les petites sirènes à la page

qui se branlent devant son image

elle s'en va

il en fera peut-être une vieille chanson

une histoire d'amour à la con

pour les décavés du boulevard

qui se tapent une queue sur Trafalgar

elle s'en va

rock rock joyeux

22/11/2010

Chanson n°45 : "Exit to chatagoune-goune"

La pensée du jour : "Je m'attache facilement". Romain GARY.

 

Encore une chanson au titre bien farfelu !!!

 

EXIT TO CHATAGOUNE-GOUNE

 

amours-crayons-bites-enfoncés

dans les tubulures glauques du vent

l'ange a léché le chimpanzé

sur l'autel des agonisants

clinic-woman cœur-manivelle

tournant dans le soleil couchant

ce soir je sors de ma poubelle

pour provoquer tes océans

cafards-gardiens-d'enfer-casqués

défilant dans mes nuits d'automne

m'accusant de ne plus tricher

devant ta pompe à méthadone

rue morgue-avenue desperados

dans les barbelés du goulag

ce soir je sors de mon blockhaus

pour me parfumer à ta vague

je danse pour toi petite

je bande pour toi (bis)

 

délires-désirs-corps entraînés

dans les brouillards du crépuscule

parfums-sexy cœurs gominés

tension-danger-sortie-capsule

jadis cavalier du néant

je reviens en vampire tranquille

dans ta nuit maquiller les blancs

de ton calendrier de petite fille

je danse pour toi petite

je bande pour toi (bis)

 

curieux soleil de plexiglas

dans la vitrine des marchands d'ours

gyrophares sur mes pataugas

nitroglycérine à la bourse

filmé par les mau-mau

par les stups et les contes de fées

je planque mon secret sous ta schizo

et m'accroche à ton corps blessé

amant-mutant matant nos stances

à l'ombre des amours gadgets

j'endors mes cadences en instance

et me balance à ta planète

inutile d'afficher nos scores

aux sorties des supermarchés

les dieux sont jaloux de nos corps

nous balayons l'éternité

je danse pour toi petite

je bande pour toi

 

 

20/11/2010

Chanson n°44 : "Les dingues et les paumés" + petite note sur Lautréamont

La pensée du jour : "En descendant du grand au petit, chaque homme vit comme un sauvage dans sa tanière, et en sort rarement pour visiter son semblable, accroupi pareillement dans une autre tanière. La grande famille universelle des humains est une utopie digne de la logique la plus médiocre". LAUTREAMONT.

           

 

Les dingues et les paumés

Les dingues et les paumés jouent avec leurs manies

dans leurs chambres blindées leurs fleurs sont carnivores

et quand leurs monstres crient trop près de la sortie

ils accouchent de scorpions et pleurent des mandragores

et leurs aéroports se transforment en bunkers

à quatre heures du matin derrière un téléphone

quand leurs voix qui s'appellent se changent en revolvers

et s'invitent à calter en se gueulant come on

 

les dingues et les paumés se cherchent sous la pluie

et se font boire le sang de leurs visions perdues

et dans leurs yeux-mescal masquant leur nostalgie

ils voient se dérouler la fin d'une inconnue

ils voient des rois-fantômes sur des flippers en ruine

crachant l'amour folie de leurs nuits-métropoles

ils croient voir venir Dieu ils relisent Hölderlin

et retombent dans leurs bras glacés de baby-doll

 

les dingues et les paumés se traînent chez les Borgia

suivis d'un vieil écho jouant du rock'n roll

puis s'enfoncent comme des rats

dans leurs banlieues by night

essayant d'accrocher un regard à leur khôl

et lorsque leurs tumbas jouent à guichets fermés

ils tournent dans un cachot avec la gueule en moins

et sont comme les joueurs courant décapités

ramasser leurs jetons chez les dealers du coin

 

les dingues et les paumés s'arrachent leur placenta

et se greffent un pavé à la place du cerveau

puis s'offrent des mygales au bout d'un bazooka

en se faisant danser jusqu'au dernier mambo

ce sont des loups frileux au bras d'une autre mort

piétinant dans la boue les dernières fleurs du mal

ils ont cru s'enivrer des chants de Maldoror

et maintenant ils s'écroulent dans leur ombre animale

 

 

les dingues et les paumés sacrifient Don Quichotte

sur l'autel enfumé de leurs fibres nerveuses

puis ils disent à leurs reines en riant du boycott

la solitude n'est plus une maladie honteuse

reprends tes Walkyries pour tes valseurs maso

mon cheval écorché m'appelle au fond d'un bar

et cet ange qui me gueule viens chez moi mon salaud

m'invite à faire danser l'aiguille de mon radar

 

Un petit mot sur le comte de Lautréamont :

Qui était Isidore Ducasse, passé à la postérité sous le pseudonyme de comte de Lautréamont ? On ne sait pratiquement rien sur l'auteur des Chants de Maldoror.

Isidore Ducasse naît le 4 avril 1846 à Montevideo, en Uruguay. Très tôt orphelin de mère, il est d'un caractère renfermé mais montre de telles dispositions, au collège des Jésuites de Montevideo, pour les études, notamment en mathématiques et e sciences naturelles, que son père l'envoie à Paris afin qu'il y prépare Polytechnique. Il s'inscrit au lycée Henri IV et s'enferme dans sa chambre, dans le quartier de la Bourse, passant ses nuits à écrire.

En 1868, il fait paraître, à compte d'auteur, et anonymement, de Chant I de Maldoror. L'année suivante, il fait publier l'ensemble des six Chants, après en avoir remanié le premier : il y faisait allusion de façon trop précise à une de ses amitiés particulières. C'est pour cet ouvrage qu'il choisit son pseudonyme inspiré, sans doute, d'un personnage d'Eugène Sue, feuilletoniste alors très populaire : Lautréamont, un homme de cœur devenu monstre.

Mais son éditeur, jugeant le livre trop cru, refuse de le mettre en vente. Lautréamont se rend alors en Belgique pour tenter d'y publier Maldoror. Parallèlement, il travaille à l'élaboration d'un autre ouvrage, consacré à l'espérance et qui sera le pendant de Maldoror. Il en rédige la préface, qu'il fait paraître en mai 1870.

Ducasse-Lautréamont, qui vit toujours des subsides envoyés par son père, change fréquemment de domicile : s'est-il livré, en cette tumultueuse fin de règne de Napoléon III, à des activités révolutionnaires ? La guerre éclate, mettant fin à ses projets littéraires. Sa trace se perd jusqu'au 24 novembre 1870 : un acte de décès, confirmé par le patron et le garçon d'étage, annonce sa mort, dans un meublé du faubourg-Montmartre.

Les Chants de Maldoror, défendus par Léon Bloy, et par Rémy de Gourmont, seront réimprimés, de façon confidentielle, en 1874 et en 1890. Et c'est Blaise Cendrars qui, au début du XXème siècle, les fera reparaître. Les Surréalistes se chargeront alors de les faire connaître et de révéler l'œuvre énigmatique de Lautréamont au grand public.

 

19/11/2010

Goethe et aussi chanson n°43 : "Ad orgasmum aeternum"

La pensée du jour : "Denn ich bin ein Mensch gewesen

Und das heißt ein Kämpfer sein". GOETHE.

 

 

Les allusions à la culture allemande ne manquent pas dans l'œuvre de Thiéfaine, nous avons pu nous en rendre compte ensemble, ici même ! Pas un seul album où il ne soit pas question d'une ville allemande (Berlin, Hambourg), d'un auteur allemand (Hölderlin, Nietzsche), etc. Impressionnant !

 

Goethe apparaît trois fois dans l'œuvre de Thiéfaine, sauf erreur de ma part. De différentes façons :

  1. Première référence dans l'album « Météo für Nada » : dans la chanson « Diogène série 87 », on entend un extrait du Satyros, lu par un Allemand.

  2. Une deuxième fois dans l'album « Chroniques bluesymentales », et plus particulièrement dans la chanson « 542 lunes et sept jours environ ». « Mehr Licht », ce sont les derniers mots que Goethe prononça (voir une de mes premières notes ici).

  3. Troisième allusion (plus ou moins) dans la chanson « Confessions d'un never been », où il est question cette fois du mouvement Sturm und Drang, dont Goethe fut un des membres en sa jeunesse.

Il me semble que c'est tout. Pour la petite histoire, j'ai commencé à apprécier Goethe il y a six ans seulement, lorsque je préparais l'agreg et que les poèmes qu'il écrivit sur ses vieux jours étaient au programme. Auparavant, j'avais lu Die Leiden des jungen Werther ... pour très vite leur préférer Die neuen Leiden des jungen W., d'Ulrich Plenzdorf ! J'ai lu Die Leiden des jungen Werther quand j'avais 17 ans. Il faut croire que je n'avais pas la maturité nécessaire pour piger. Pourtant, ce roman épistolaire est magnifique, j'ai pu l'apprécier plus tard, en le relisant. Ensuite, j'ai lu des extraits de Faust. Jamais le Faust en entier. L'immense honte pour une prof d'allemand !!! Mais j'assume ! J'ai toujours préféré me plonger dans Kleist, plus tourmenté, plus sombre... Quand même : en deuxième année de fac, j'avais lu Götz von Berlichingen, quand on étudiait le Sturm und Drang justement, et j'avais beaucoup aimé cette œuvre.

Et puis, lorsque je suis partie faire mes études en Allemagne, à Leipzig, j'ai eu un prof de poésie tout à fait révolutionnaire, qui détestait Goethe, allant jusqu'à dire qu'il n'avait écrit que de la merde ou presque, qu'il ne fallait garder que ses poèmes et jeter le reste !! Comme toutes les filles de la promo, j'étais secrètement amoureuse de ce prof incroyable, véritable poète, qui ne se gênait pas pour dire en plein cours qu'il avait déjà testé pas mal de drogues !!!!! Alors, du coup, je me suis dit : « Oui, c'est vrai, ça, jetons Goethe !! » Et puis, il y a six ans, il y eut cette rencontre. Avec l'homme vieillissant se retournant sur sa vie. Au programme d'agreg, il y avait West-östlicher Divan. J'ouvre le recueil :

« Nord und West und Süd zersplittern,

Throne bersten, Reiche zittern,

Flüchte du, im reinen Osten

Patriarchenluft zu kosten;

Unter Lieben, Trinken, Singen

Soll dich Chisers Quell verjüngen ».

Tout de suite, ça le fait ! L'allemand, en poésie comme en tout d'ailleurs, ça sonne bien ! Moi, ça me prend aux tripes, j'adore ! J'ai dû être une des amoureuses de Goethe dans une vie antérieure !!!!!

Bref, alors là, Goethe, j'en suis tombée raide dingue. De sa poésie, surtout. Raide dingue aussi de l'homme vieillissant étreignant encore et toujours la vie avec le même élan !

 

Je peux vous mettre un topo sur sa vie si cela vous tente. Mais il ne faudrait pas que ce soit trop austère non plus, hein...

 

Allez, encore quelques extraits du recueil West-östlicher Divan :

« Eh er singt und eh er aufhört

Muss der Dichter leben ».

 

« Und solang du das nicht hast,

Dieses : Stirb und werde !

Bist du nur ein trüber Gast

Auf der dunklen Erde ».

 

« Wunderlichstes Buch der Bücher

Ist das Buch der Liebe;

Aufmerksam hab ich's gelesen :

Wenig Blätter Freuden,

Ganze Hefte Leiden ».

 

 

 

Et maintenant : « Ad orgasmum aeternum » !

 

Dans cité X y'a une barmaid

qui lave mon linge entre deux raids

si un jour elle apprend mon tilt

au bout d'un flip tourné trop vite

je veux pas qu'on lui renvoie mes scores

ni ma loterie ni mon passeport

mais je veux qu'on lui rende ses lasers

avec mes cendres et mes poussières

et j'aimerais qu'elle tire la chasse d'eau

pour que mes tripes et mon cerveau

enfin redevenus lumière

retournent baiser vers la mer

 

je reviendrai comme un vieux junkie

m'écrouler dans ton alchimie

delirium visions chromatiques

amour no-limit éthylique

je reviendrai comme un vieux paria

me déchirer dans ton karma

retrouver nos mains androgynes

dans ta zone couleur benzédrine

 

je reviendrai fixer ta chaleur

dans la chambre au ventilateur

où tes ombres sucent les paumés

entre deux caisses de s.t.p.

je reviendrai te lécher les glandes

dans la tendresse d'un no man's land

et te jouer de l'harmonica

sur un décapsuleur coma

 

je reviendrai jouir sous ton volcan

battre nos cartes avec le vent

je reviendrai taxer ta mémoire

dans la nuit du dernier espoir

je reviendrai chercher notre enfance

assassinée par la démence

et lui coller des lunettes noires

le blues est au fond du couloir

je reviendrai narguer tes dieux

déguisé en voleur de feu

et crever d'un dernier amour

le foie bouffé par tes vautours

18/11/2010

Chanson n°42 : "Autoroutes jeudi d'automne"

La pensée du jour : "Il est certain qu'une vie sans espoir a au moins l'avantage de la clarté". René FALLET.

 

AUTOROUTES JEUDI D'AUTOMNE

 

(MATHEMATIQUES SOUTERRAINES N°2)

 

Elle m'envoie des cartes postales de son asile

m'annonçant la nouvelle de son dernier combat

elle me dit que la nuit l'a rendue trop fragile

et qu'elle veut plus ramer pour d'autres Guernica*

et moi je lis ses lettres le soir dans la tempête

en buvant des cafés dans les stations-service

et je calcule en moi le poids de sa défaite

et je mesure le temps qui nous apoplexise

et je me dis stop

mais je remonte mon col j'appuie sur le starter

et je vais voir ailleurs encore plus loin ailleurs

 

et je croise des vieillards qui font la sentinelle

et me demandent si j'ai pas des cachous pour la nuit

je balance mes buvards et tire sur la ficelle

pour appeler le dément qui inventa l'ennui

et je promène son masque au fond de mes sacoches

avec le négatif de nos photos futures

je mendie l'oxygène aux sorties des cinoches

et vends des compresseurs à mes ladies-bromure

et je me dis stop

mais je remonte mon col j'appuie sur le starter

et je vais voir ailleurs encore plus loin ailleurs

 

il est bientôt minuit mais je fais beaucoup plus jeune

je piaffe et m'impatiente au fond des starting-blocks

je m'arrête pour mater mes corbeaux qui déjeunent

et mes fleurs qui se tordent sous les électrochocs

et j'imagine le rire de toutes nos cellules mortes

quand on se tape la bascule en gommant nos années

j'ai gardé mon turbo pour défoncer les portes

mais parfois il me reste que les violons pour pleurer

et je me dis stop

mais je remonte mon col j'appuie sur le starter

et je vais voir ailleurs encore plus loin ailleurs

 

Thiéfaine / arrangements : Mairet

 

*A propos de « Guernica » : Gernika-Luca en basque (nom officiel) ou Guernica y Luno en espagnol. Ville de la province de Biscaye, en Euskadi, au nord-ouest de l'Etat espagnol.

Cette ville est particulièrement célèbre pour la destruction qu'elle a subie le 26 avril 1937 par les aviateurs de la légion Condor, envoyée par Hitler au secours du général Franco.

« Guernica » est un des tableaux les plus célèbres de Picasso.

 

J'ai quelques nouvelles idées d'articles pour ce blog : un petit topo sur Rimbaud (je vous mettrai cela ici après les paroles de la chanson « Affaire Rimbaud ») et un autre sur Goethe, le grand, l'unique !!!

 

Autre chose : « Autoroutes jeudi d'automne » (oh purée, d'ailleurs : nous sommes en automne, c'est jeudi, quelle classe !!!!!) est une de mes chansons préférées !

17/11/2010

Chanson n°41 : "Lorelei Sebasto Cha"

La pensée du jour : "Toute cruauté vient d'une faiblesse". Sénèque.

 

LORELEI SEBASTO CHA

 

mon blues a déjanté sur ton corps animal

dans cette chambre où les nuits

durent pas plus d'un quart d'heure

juste après le péage assurer l'extra-ball

et remettre à zéro l'aiguille sur le compteur

ton blues a dérapé sur mon corps de chacal

dans cet hôtel paumé aux murs glacés d'ennui

et pendant que le lit croise l'aéropostale

tu me dis reprends ton fric aujourd'hui c'est gratuit

Lorelei Lorelei

ne me lâche pas j'ai mon train qui déraille

Lorelei Lorelei

et je suis comme un cobaye qui a sniffé toute sa paille

 

tu m'arraches mon armure dans un geste un peu lourd

en me disant reviens maintenant je te connais

tu me rappelles mes amants Rue-Barrée à Hambourg

quand j'étais orpheline aux yeux de feu-follet

tu me rappelles mes amants perdus dans la tempête

avec le cœur-naufrage au bout des bars de nuit

et tu me dis reviens je suis ton jour de fête

reviens jouir mon amour dans ma bouche-agonie

Lorelei Lorelei

ne me lâche pas j'ai mon train qui déraille

Lorelei Lorelei

et je suis comme un cobaye qui a sniffé toute sa paille

 

le blues a dégrafé nos coeurs de cannibales

dans ce drame un peu triste

où meurent tous les Shakespeare

le rouge de nos viandes sur le noir sidéral

le rouge de nos désirs sur l'envers de nos cuirs

et je te dis reviens maintenant c'est mon tour

de t'offrir le voyage pour les Galapagos

et je te dis reviens on s'en va mon amour

recoller du soleil sur nos ailes d'albatros *

Lorelei Lorelei

ne me lâche pas j'ai mon train qui déraille

Lorelei Lorelei

et je suis comme un cobaye qui a sniffé toute sa paille

 

*Analyse très intéressante de Yannig hier à propos du mot « soleil ». Le voilà encore !

 

Je dédie cette note à toutes les Lorelei du net, et tout particulièrement à Lorelei2, toujours présente, fidèle dans toutes les tempêtes, et pas seulement !

P.S. : Je ne suis toujours pas allée à Hambourg. J'ai hâte d'y mettre les pieds et d'y faire un petit reportage-photo. Une de mes anciennes élèves est partie s'y installer et m'a invitée, alors les photos devraient apparaître ici dans les mois qui viennent.