25/09/2010
"Animal en quarantaine"
La pensée du jour : "Nous sommes la triste opacité de nos spectres futurs". Stéphane MALLARME.
Hier, j'écoutais Thiéfaine « supplier Wakan-Tanka d'oublier de le réincarner. Aujourd'hui, changement de cap : je viens d'écouter « Animal en quarantaine » et cette fois, Thiéfaine nous ordonne d'exiger l'immortalité. De nous organiser, en somme, dans une immense et collective rébellion contre le triste sort qui nous est fait. A savoir : « on avance, on avance, on avance, c'est une évidence, on n'a pas assez d'essence pour faire la route dans l'autre sens », comme le chante Souchon. D'ailleurs, dans « Animal en quarantaine », l'image du taxi nous ramène à cette idée de la route qui défile sans que nous ayons la possibilité de faire un seul arrêt sur image : ce n'est pas nous qui conduisons, quelqu'un nous conduit inéluctablement vers la dernière station avant l'autoroute du grand saut, vers le terminus. Nous ne sommes pas aux commandes, nous ne décidons de rien, quelqu'un a pris les manettes et reste sourd à nos supplications. « Les infos grondent » et nous rattachent encore au monde, mais c'est quand même l'inévitable dérive vers « la face cachée de la nuit ». La face cachée, celle que d'ici personne ne peut voir, celle dont nul ne sait comment elle se présente ... si elle se présente. Angoisse terrible face à notre ignorance et notre impuissance. Cette chanson est un cri de révolte contre l'absurdité de notre condition. Le sujet « dérêve » en même temps qu'il dérive (et je salue au passage le grandiose parallèle sonore et sémantique entre les deux verbes, le premier ayant été magistralement inventé par Thiéfaine). Le champ lexical est très fort : le sujet, autrement dit Thiéfaine, est « tourmenté », « torturé », « dépouillé ». Le temps « s'obscurcit ». Thiéfaine s'imagine déjà « en ombre vaporeuse, âme anonyme, errante et silencieuse ». C'est-à-dire « de l'autre côté du passage obscur ». Une âme anonyme, c'est-à-dire « dépouillée de son nom », rayée du monde des vivants, privée pour toujours de ce qui y faisait son identité. Errante à l'image de ces âmes en peine qui ne trouvent jamais le repos... Silencieuse parce que muselée à jamais par la Camarde. Dans l'incapacité de communiquer avec le monde des vivants, des survivants, autrement dit des morts en sursis... Et c'est là qu'on peut voir le double sens de l'expression « en quarantaine ». « En quarantaine » , mathématiquement parlant, cela évoque le nombre de berges, de piges, d'années. « Mettre quelqu'un en quarantaine », c'est l'exclure d'un groupe, comme un pestiféré. Ici, Thiéfaine se voit déjà exclu du monde des vivants.
Une fois encore, la mort vient élire domicile dans une chanson de Thiéfaine. Il serait intéressant de recenser toutes les chansons dans lesquelles l'artiste évoque la faucheuse...
10:07 | Lien permanent | Commentaires (14)
23/09/2010
"A part ça tout va bien, comme dit Schopenhauer" !
La pensée du jour : "Le ciel déjà prend goût de terre
Puisqu'on est des morts sursitaires
Tous les calculs que nous ferons
Auront une balle en plein front". Louis ARAGON
Arthur Schopenhauer : philosophe allemand (Dantzig 1788 – Francfort-sur-le-Main 1860). Il prétend ne se rattacher à aucune école (sinon de loin à la philosophie hindoue), et il s'oppose expressément à l'école post-kantienne (Fichte, Hegel). En fait, sa philosophie de la « volonté » comme fondement de la « représentation » est un démarquage de la philosophie de Fichte. C'est en 1813 qu'il soutient sa thèse à Iéna sur la Quadruple Racine du principe de raison suffisante, en 1818 qu'il publie son principal ouvrage, Le Monde comme volonté et comme représentation. Il enseigne à Berlin de 1820 à 1831, date où il quitte l'enseignement et s'oppose à tout ce qui est universitaire.
Sa théorie de la représentation, inspirée de Kant, se fonde, selon lui, sur une conception du vouloir-vivre inspirée des philosophies de l'Inde. Son pessimisme, qui unit les notions de souffrance et de vie, l'amène à prêcher l'ascétisme. Sa morale, fondée sur la pitié, est une critique, parfois profonde, de la morale formelle de Kant (Essai sur le libre arbitre, 1839). Son style très riche, plein de métaphores, recouvre en fait une doctrine qui, dans la philosophie de l'idéalisme allemand (Kant, Fichte, Schelling, Hegel), comporte peu d'éléments originaux.
Source : Dictionnaire de la philosophie, Didier JULIA, Editions du Club France Loisirs, Paris, 1984.
Il y a quelques années, je m'étais acheté un ouvrage amusant en Allemagne : Schopenhauer für Gestresste (Schopenhauer pour les gens stressés !!). On y trouve des pensées éparses, que j'aime bien lire de temps en temps (et qui me paraissent plus compréhensibles que tout ce qui a été écrit sur Schopenhauer, par exemple ce texte ci-dessus, auquel je ne pige pas grand-chose, mais que je me devais de mettre ici parce que quand même, « à part ça tout va bien comme dit Schopenhauer » !!).
Voici donc quelques pensées picorées ici ou là dans l'ouvrage mentionné ci-dessus :
« Um nicht sehr unglücklich zu werden, ist das sicherste Mittel, dass man nicht verlange, sehr glücklich zu sein ». Ce qui donne à peu près ceci, une fois traduit :
« Le moyen le plus sûr de ne pas être très malheureux est de ne pas exiger d'être très heureux ».
« Was sich liebt und füreinander geboren ist, findet sich leicht zusammen : verwandte Seelen grüßen sich schon aus der Ferne » : « Ceux qui s'aiment et sont nés l'un pour l'autre se retrouvent facilement : les âmes sœurs se saluent de loin ».
« Sehn und Erfahren ist so nötig als Lesen und Lernen » : « Voir et faire des expériences est aussi nécessaire que lire et apprendre ».
Désolée, mes traductions sont parfois bancales ! J'espère en tout cas que pour vous « tout va bien, comme dit Schopenhauer » ! Quant à moi, je suis désespérée, mais je me soigne !!! Le meilleur remède selon moi : HFT, à fond la gomme et les manettes, « à s'en faire péter les turbines » !
22:05 | Lien permanent | Commentaires (1)
18/09/2010
Réflexions en vrac sur "Critique du chapitre 3" et "Des adieux"
La pensée du jour : "Combien d'êtres chers, partis à l'aube de notre affection, nous laissent inassouvis ?" Fatou DIOME.
Hier, « avec un sacré mal de vivre, je me disais : je ne sais pas pourquoi je vais comme un bateau ivre »... Dans ces cas-là, un seul remède : me noyer dans les mots de Thiéfaine. Plonger dans cette somptueuse poésie, me sentir accompagnée dans les eaux glaciales de ma sombre détresse.
Machinalement, hier soir, j'ai pris « La tentation du bonheur », sans doute parce que cette tentation m'a titillée plus d'une fois, pour finalement me laisser en rade, systématiquement.
Quand on va clopin-clopant, écouter cet album peut s'avérer extrêmement dangereux ... ou salutaire, c'est selon. Pour ma part, j'ai déjà dit mille fois que le désespoir de Thiéfaine ne me faisait même pas peur ! Bien au contraire, il me permet de mieux digérer le mien. Bref...
Sur cet album, plus dangereux que tout le reste, deux morceaux : « Critique du chapitre 3 » et « Des adieux ». « Critique du chapitre 3 (du livre de l'Ecclésiaste) », c'est évidemment une référence biblique. J'ai déjà mis ce texte de l'Ecclésiaste ici. Petite piqûre de rappel :
« Il y a un temps pour tout, il y a un moment pour chaque chose sous les cieux :
Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir;
Un temps pour planter et un temps pour arracher ce qui a été planté;
Un temps pour tuer et un temps pour soigner;
Un temps pour démolir et un temps pour bâtir;
Un temps pour pleurer et un temps pour rire », etc.
A lire ces mots de l'Ecclésiaste, on pourrait croire qu'il existe un bel équilibre entre tous ces différents moments. Que le temps passé à pleurer est égal à celui passé à rire. Or, « Critique du chapitre 3 », cela donne déjà le ton, cela annonce le thème de la chanson. C'est qu'Hubert-Félix n'est pas d'accord. Et il le dit : « Pour un temps d'amour, tant de haine en retour ». « Critique du chapitre 3 », donc, pour dire que s'il y a bel et bien un temps pour l'amour et un autre pour la haine, les proportions ne sont pas les mêmes, il y a maldonne. Chanson-cri, cri de révolte, cri de colère.
Deuxième danger de cet album, donc, « Des adieux ». Pas vraiment de révolte cette fois-ci, plutôt un simple constat : notre vie est faite d'adieux. Et même si l'on finit « toujours par noyer son cafard dans un taxi-dancing ou dans un topless-bar », il n'en reste pas moins vrai que notre condition, c'est avant tout le désespoir... Cela me fait penser à Jean d'Ormesson, que je suis allée écouter avec ferveur cet après-midi à l'Hôtel de Ville de Nancy. Et j'ai retenu, entre autres, cette phrase : « Il faut prendre avec gaieté cette situation désolante dans laquelle nous nous trouvons ». Cette situation désolante, à savoir la vie. « Et les noires sentinelles drapées dans leurs guérites
n'ont plus besoin d'antennes-paraboles-satellites
pour capter le chagrin à son extrême limite »...
Désolée, je ne suis guère en forme depuis quelques semaines, quelques mois, quelques années, je ne sais plus très bien. De deux choses l'une : soit je me mure dans le silence, cessant d'alimenter ce blog, ne restant pas, contrairement à Hubert, ouverte pendant les travaux, soit je viens ici déposer un peu de mon fardeau, de ma mélancolie, de mon mal-être... Au risque de vous lasser, au risque de vous chasser. Je ne sais pas très bien quelle solution il convient de choisir. Mais je sais que, pour ce qui est du « registre de mes plaies », le meilleur Mercurochrome restera toujours cet univers thiéfainien dont je me sens la frangine d'infortune, celle qui habite « rue des amours lynchées », tout près des dingues et des paumés... D'ailleurs, dingue et paumée, ne le suis-je pas un peu moi-même ?
21:38 | Lien permanent | Commentaires (8)
11/09/2010
Yves Jamait à Terville hier soir
La pensée du jour : "Et si j'allais vers ce passant pour lui dire que j'ai perdu ma mère et que nous devons échanger un baiser de prochain, un éperdu baiser de communion en un malheur qui a été ou qui sera le sien ? Non, il me signalerait à la police". Albert COHEN
Aimez-vous les coquelicots ? Pour ma part, j'aime les voir parsemer de taches rouges les paysages de mai et de juin. Rouge passion. Rouge sang. Les coquelicots et moi, nous sommes faits pour nous entendre : ce sont, comme disait Yves Jamait je ne sais plus quand, je ne sais plus où et à je ne sais plus qui, ce sont des fleurs qui symbolisent d'une certaine façon la rébellion puisqu'elles se refusent à être mises en bouquets. La fragilité qu'affichent les coquelicots est donc toute de surface. Derrière le frêle voile rouge se cache une immense opiniâtreté, et cette ambivalence n'est pas faite pour me déplaire !
Longtemps, je me suis dit que ce ne serait pas idiot d'écrire une chanson sur les coquelicots. Yves Jamait a fait mieux : il a écrit une chanson sur un coquelicot, celui de la bouche de la femme aimée. Merveilleuse métaphore ! Hier, à Terville, le « chantiste » (comme il aime à se définir lui-même) n'a pas interprété « Le coquelicot ». Bizarrement, moi qui aime beaucoup cette chanson, je n'y ai pas pensé pendant le concert. Pas de « Vierzon » non plus. Deux grandes absentes, donc, hier soir, et pourtant on ne songerait pas à s'en plaindre, tant ce qu'Yves Jamait nous a offert sur un plateau était puissant, profond, sublime.
Presque deux heures de spectacle hier soir. Ah oui, spectacle, c'est bien le mot ! Il faut voir Yves Jamait sur scène, c'est là que ses chansons prennent toute la dimension qui leur sied, qui leur revient de droit. Le « chantiste » se glisse pour deux heures dans la peau d'un personnage, un peu paumé, un peu soiffard (il dit que c'est un rôle de composition et qu'il y a derrière tout cela 15 ans d'application !). Il nous parle d'un monument dijonnais : le « bar de l'univers » ! Il nous raconte Jean-Louis, patron de ce même bar, dont le métier se résume en fait à écouter les clients quand ils s'épanchent. Et, un brin d'espièglerie dans le regard, Yves ajoute : « Jean-Louis, c'est un peu comme un psychanalyste, sauf que chez lui, on n'est pas couché, mais accoudé. J'ai fait quinze ans de psy » !!
Pendant presque deux heures, Yves se donne. On peut dire qu'il trempe sa liquette. Et même sa casquette, qu'il envoie régulièrement valser dans les airs et qui retombe en une pluie de gouttelettes de sueur ! Il donne tellement, il se donne tellement que je me suis dit, pendant que le public le rappelait à cor et à cri, que c'était presque indécent d'en redemander tant nous avions déjà été royalement servis.
Après le concert, Yves vient boire un verre au bar et discuter un peu avec le public. Il reste avenant malgré l'épuisement visible. Epuisement dont il nous dira, à mon ami Christophe et à moi, qu'il est réel. Et pourtant, pas une lueur d'agacement dans les yeux quand des gens lui sautent au cou pour une photo... Bref, une grande âme. « Eine Seele von einem Menschen », comme disent les Allemands. Un éternel gosse aux allures de gavroche. Une « voix de ronce », écrivait je ne sais plus qui je ne sais plus où (l'image est si juste -c'est Christophe qui a cité ces propos hier soir), une voix qui sent les nuits qui n'en finissent pas de porter conseil, une voix qui raconte à merveille quinze ans de psy...
Terville, c'était la dernière date de cette gigantesque tournée qui a duré deux ans. En décembre, Yves Jamait reviendra par chez moi, cette fois pour un concert avec Daniel Fernandez. Les billets sont-ils déjà en vente ?!
10:27 | Lien permanent | Commentaires (6)
10/09/2010
HFT en cinq mots ?
La pensée du jour : "La tristesse est la seule promesse que la vie tient toujours". Hubert-Félix THIEFAINE.
Mes chers amis, ce soir, je fais une grosse infidélité à HFT : je vais voir Yves Jamait ! Mais quelques "sauts de côté", comme disent les Allemands, ne nuisent à personne ! On peut "ruisseler comme un vieux troubadour sous les yeux maternels d'une barmaid trop glamour" et savoir au fond de soi que "c'est pour mieux revenir" dans la rue des amours lynchées, là où crèche un certain Thiéfaine, rue qui me sied à merveille à moi aussi... Donc, oui, une infidélité. Enfin, pas vraiment. Yves Jamait, Thiéfaine, ces deux-là sont nés pour s'entendre, leurs univers sont faits pour cohabiter en bonne intelligence ! Et je connais d'ailleurs quelques fans de Thiéfaine qui ne boudent pas Jamait, loin de là !
Oui, je vais voir Yves Jamait, mais je ne sais pas pourquoi, en ce jour morose qui n'est qu'un jour morose de plus dans une vie usante, j'ai une folle envie de me soûler de la poésie de Thiéfaine... Envie d'écouter HFT à fond, à faire trembler les murs ! Envie aussi de l'écouter parler. Parce que souvent, j'ai trouvé du réconfort dans les mots de ce monsieur. Quand j'avais 19 ans et que je l'ai découvert, j'ai soudain vu s'ouvrir un immense horizon. Loin de me mettre encore plus à plat, les mots pourtant souvent empreints de déréliction de cet artiste m'ont portée comme des béquilles. Ils m'ont permis de voir que je n'étais pas seule dans la longue nuit humaine. Ce fut presque le bonheur ! L'ascenseur au fond du précipice, en tout cas. Mais j'ai déjà dit tout cela.
Je viens de regarder quelques extraits de l'excellent reportage "Sur les traces d'Hubert-FélixThiéfaine". J'aime particulièrement le moment où Thiéfaine dit que le courage, c'est de se lever chaque matin, de prendre sa douche et de s'habiller. Je reçois ces mots-là cinq sur cinq. Oui, c'est un exploit, voire une gageure de se lever encore pour affronter cette vie-là qui ne tient finalement qu'une seule et unique promesse : la tristesse... Des adieux, des amours lynchées... Désolée, je suis d'humeur sombre aujourd'hui, ça me passera.
Dans ce reportage (dont une partie a été tournée à Brest, au Vauban : ici, clin d'oeil au Doc et à Evadné !), je ne sais trop qui demande à Thiéfaine de se définir en cinq mots. Ce à quoi l'artiste répond : "auteur, compositeur, interprète, chanteur, guitariste").
Et vous, comment le définiriez-vous, HFT, en cinq mots ? Je sais, c'est réducteur, mais cherchons ensemble, je trouve cela marrant (et Dieu sait si j'ai besoin de distractions en ce jour, alors vous êtes priés de répondre à l'appel, et un peu vite !!!). Pour ma part, j'utiliserais des adjectifs. A voir. Je réfléchis, je vous tiens au courant.
16:26 | Lien permanent | Commentaires (29)
05/09/2010
Matinée d'ivresse
Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! Chevalet féerique ! Hourra pour l'œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendus à l'ancienne inharmonie. Ô maintenant nous si digne de ces tortures ! Rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la violence ! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, - ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, - cela finit par une débandade de parfums.
Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace.
Petite veille d'ivresse, sainte ! Quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t'affirmons, méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours.
Voici le temps des Assassins.
Arthur Rimbaud, extrait des Illuminations.
19:50 | Lien permanent | Commentaires (1)
02/09/2010
Chanson n°22 : "Psychanalyse du singe"
La pensée du jour : "Si j'étais Dieu, j'croirais pas en moi", Hubert-Félix THIEFAINE. Ces mots ouvrent l'album "De l'amour, de l'art ou du cochon ?" J'adore cette entrée en matière. On devine l'ambiance de caboulot, les conversations de comptoir, et c'est une voix caverneuse et poussive qui nous lance ces mots à la tête. Génial début d'album ! Et voilà :
Psychanalyse du singe
j'ai appris à jouer la guitare
avec la méthode Ogino
émerveillé par l'art pour l'art
comme une poule devant un mégot
j'étais déjà un petit barbare
qui chantait pour sa libido
et franchement c'est beaucoup plus tard
que j'appris à être cabot
je ne chante pas pour passer le temps (3 fois)
mais pour me rendre intéressant
pour être chanteur populaire
faut avoir l'esprit de mission
la position du missionnaire
ça manque pas d'imagination
et je me jette sous les projos
avec mon sourire engagé
en me disant : vas-y coco
t'as la meilleure place pour tomber
je ne chante pas pour passer le temps (3 fois)
mais pour me rendre intéressant
le jour de ma naissance un éléphant est mort
et depuis ce jour-là je le porte à mon cou
je me fais un peu prétentiard
mais c'est la règle des gogos
à trop squatter les lupanars
on prend l'affreux rire de l'idiot
alors je me montre et me marre
en agitant tous mes grelots*
bientôt je pisserai dans ma guitare
en m'exhibant pour le psy-show
je ne chante pas pour passer le temps (3 fois)
mais pour me rendre intéressant
je ne chante pas pour passer le temps (3 fois)
mais pour me rendre intéressant
*C'est la version livret, mais Thiéfaine ne chante pas ces mots-là sur le CD.
*"l'affreux rire de l'idiot", c'est du Rimbaud, ça, mais je ne trouve plus le passage dans lequel l'ami Arthur écrit que le printemps lui a apporté "l'affreux rire de l'idiot". Je cherche encore, je vous mets cela sur le blog dès que possible.
09:37 | Lien permanent | Commentaires (5)
31/08/2010
"Ils croient voir venir Dieu, ils relisent Hölderlin"...
La pensée du jour : "Il ne faut jamais penser au bonheur : cela attire le diable, car c'est lui qui a inventé cette idée-là pour faire enrager le genre humain". Gustave FLAUBERT
Il y a quelques années, peu de temps après la création de ce blog, j'avais consacré quelques billets au poète allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843). Il faudrait fouiller dans les archives pour retrouver ces notes... Tragique destin pour ce poète évoqué par Thiéfaine dans "Les dingues et les paumés". Suite à une crise de folie, Hölderlin fut en effet enfermé pendant 37 ans dans une tour dominant le Neckar...
Relisons Hölderlin, ce poète dont Albert Béguin disait ceci (qui éclaire un peu la phrase "ils croient voir venir Dieu") :
"Hölderlin est peut-être le seul des poètes de ce temps qui ait eu le sens intime du mythe, le sens des dieux, à ce point que les hommes avaient pour lui moins de réalité que les figures célestes".
Voici, pour commencer ce volet Hölderlin, ce joli poème dont je vous propose aujourd'hui une version bilingue : "Unter den Alpen gesungen" :
Unter den Alpen gesungen
Heilige Unschuld, du der Menschen und der
Götter liebste vertrauteste ! du magst im
Hause oder draußen ihnen zu Füßen
Sitzen, den Alten,
Immerzufriedner Weisheit voll; denn manches
Gute kennet der Mann, doch staunet er, dem
Wild gleich, oft zum Himmel, aber wie rein ist
Reine, dir alles !
Siehe ! das rauhe Tier des Feldes, gerne
Dienet und trauet es dir, der stumme Wald spricht
Wie vor Alters, seine Sprüche zu dir, es
Lehren die Berge
Heil'ge Gesetze dich, und was noch jetzt uns
Vielerfahrenen offenbar der große
Vater werden heißt, du darfst es allein uns
Helle verkünden.
So mit den Himmlischen allein zu sein, und
Geht vorüber das Licht, und Strom und Wind, und
Zeit eilt hin zum Ort, vor ihnen ein stetes
Auge zu haben,
Seliger weiß und wünsch'ich nichts, so lange
Nicht auch mich, wie die Weide, fort die Flut nimmt,
Dass wohl aufgehoben, schlafen dahin ich
Muss in den Wogen;
Aber es bleibt daheim gern, wer in treuem
Busen Göttliches hält, und frei will ich, so
Lang ich darf, euch all', ihr Sprachen des Himmels !
Deuten und singen.
Chanté au pied des Alpes
Sainte Innocence, ô toi la familière aimée
Des dieux et des hommes ! La maison est tienne,
Où on te trouve assise dehors
Au pied des Ancêtres,
Sage et toujours comblée; car, s'il connaît beaucoup
De biens, souvent, tel un fauve, l'homme
Lève au ciel des yeux frappés de stupeur, mais que tout,
Ô Pure, t'est pur !
Vois ! La farouche bête de nos champs
Se fie à toi et te sert, avec ses voix
Anciennes la forêt muette te dit ses oracles,
Les cimes t'enseignent
Leurs lois sacrées, et ce qu'il en reste encore
A révéler, après tant d'épreuves, de notre être
A notre Père d'en haut, tu peux seule
Nous le dévoiler.
Vivre ainsi, seul avec les dieux du ciel, et
Quand tout passe, le jour, le vent, le fleuve,
Qu'à son terme court le temps, ne pas perdre
Des yeux leur présence,
Je ne saurais plus grand bonheur vouloir, d'ici
Que tel le saule l'onde m'enlève aussi,
Me berce et, endormi, m'emporte là-bas,
Blotti dans ses vagues;
Mais il se plaît ici chez lui, le cœur fidèle
A son feu divin, et libre, tant qu'il se pourra,
Je veux, ô langues du ciel ! vous chanter
Toutes et comprendre !
09:17 | Lien permanent | Commentaires (4)